Les années 2020 ont mal commencé pour le collectif britannique Archive. Mais, comme en témoignent ses principaux membres dans un entretien avec Xavier Martin, « la lumière semble (enfin) être au bout du tunnel ».

Par Xavier Martin

Appelons ça la poisse, la malchance, la guigne. En 2022, à peine libéré des confinements à répétition, Archive sortait l’un des disques les plus ambitieux de sa carrière et s’apprêtait à prendre la route pour le défendre, avec l’énergie des morts de faim, ou plus exactement des survivants. Darius Keeler avait eu alors cette phrase tristement prémonitoire : « Il semble qu’il y ait de la lumière au bout du tunnel, mais il y a toujours une part d’ombre dans cette lumière. » Cette part d’ombre à laquelle il faisait référence se révélera être une vilaine tumeur de l’intestin qu’il faudra soigner d’urgence. Et, bien sûr, obligea à reporter la tournée à des jours meilleurs, qui finalement arriveront exactement un an plus tard.

Entre-temps, Archive a avancé et sans doute muri à l’aune des épreuves et de l’attente. Au-delà de tout, il fallait faire cette tournée à la fin l’année dernière, tournée pour laquelle les préparatifs ont été soignés dans les moindres détails, peut-être même plus qu’à l’accoutumée : « Le processus de répétition a été plutôt intense. Il a fallu travailler les nouveaux morceaux qui sont plutôt complexes. Mais il nous a fallu également garder un certain niveau d’intérêt tout au long de la tournée, c’est pourquoi on a enlevé ou rajouté des morceaux en cours de route. On devait continuer à se tester constamment », explique Dave Pen, chanteur et guitariste, avant que son alter ego, Pollard Berrier, ne renchérisse : « On avait régulièrement le feedback de notre manager ou de notre ingénieur du son, qui nous conseillaient certains titres plutôt que d’autres. Ça prend toujours du temps, tu ne pars pas en tournée comme ça en improvisant. Ça aide d’avoir autant de chansons ! J’espère que lors de la prochaine tournée on pourra jouer des titres que l’on n’a pas pu jouer là. »

Sans surprise, la tournée a fait la part belle au dernier album en date, Call to Arms & Angels. Lui ayant emprunté le nom, c’était en retour la moindre des choses que de lui faire honneur. Ce qui d’ailleurs appelle la question relative à l’interprétation en live d’un répertoire qui s’étire sur près de trente ans et qui a vu passer des musiciens absents lors des derniers concerts – qu’ils aient quitté Archive ou tout simplement pour des raisons d’organisation : « Beaucoup de gens nous ont dit combien certains titres résonnaient particulièrement bien en live sur cette tournée. On ne s’occupe pas de savoir quelles chansons on peut jouer en fonction de l’absence d’untel ou d’untel. On les choisit en pensant aux fans, ils viennent voir un show. Archive, c’est une expérience, ce n’est pas l’affaire d’une personne. On s’adapte ce n’est pas un problème. Même si ça pourrait l’être si Dave ou Pollard n’étaient pas là… » tranche Darius Keeler, avant que le discret Danny Griffiths ne complète : « Nous voulions que le ressenti soit le bon. Par exemple, c’est ce qui nous a amenés à choisir « Take my Head », qu’on n’avait pas joué depuis des années. C’est un équilibre à trouver entre les nouveaux titres et les anciens qu’il faut mettre au bon endroit dans la setlist. »

Crédit photo : Jessica CALVO (à La Sirène / La Rochelle)

Pour accompagner la tournée, Archive avait sorti une édition digitale « deluxe » de Call to Arms & Angels, augmentée de quelques inédits (dont deux seront joués pendant la tournée) et des démos des titres initiaux de l’album : « C’était un moyen de faire un deuxième lancement de Call to Arms & Angels. Avec mes problèmes de santé l’année dernière, nous n’avions pas vraiment pu le promouvoir. On a songé à un moment commercialiser cette édition sous forme de NFT. On a pris quelques contacts sur le sujet, mais ça ne s’est pas fait car il y avait trop d’incertitudes et de commentaires négatifs autour de cette technologie. On a sorti ces démos parce que l’on pense que leur format est vraiment très intéressant. Ça permet de se rendre compte des différences entre le début et la fin de l’enregistrement d’un album. Si j’étais un fan, je serais vraiment intéressé par cela », explique Darius Keeler qui laisse planer le doute sur un potentiel format vinyle : « On a la chance de vendre beaucoup de vinyles, donc je ne sais pas. Ça serait cool d’avoir ces démos sur vinyle, tout est possible… Il va y avoir pas mal de surprises dans le futur… »

B.O. de Voleuses

La surprise, cela a été aussi d’être invité à réaliser la B.O. Voleuses, de Mélanie Laurent. Darius Keeler en raconte la genèse. « J’étais à l’hôpital en train de lutter contre mon cancer de merde [NdlR : « fucking cancer » dans le texte], et mon manager m’a dit qu’il avait reçu un appel de Mélanie Laurent qui proposait que l’on fasse la bande originale de son film. Elle a ensuite obtenu mon numéro de téléphone et m’a envoyé un message me disant que la bande originale de sa vie, c’était Archive. Alors on a dit oui. Elle avait une vraie vision pour le film, très forte. La preuve c’est que le film s’est classé numéro 1 dans le monde. » Effectivement, Voleuses (ou Wingwomen en anglais), a été un carton monumental sur Netflix, avec plus de 18 millions de spectateurs dans le monde la première semaine de sa sortie. « C’est un très beau film d’artiste qui nous a vraiment inspirés pour en faire la musique. On l’a composée d’ailleurs assez vite, on était en avance sur le planning, d’autant plus que les confinements étaient terminés et qu’on pouvait se réunir. Dave et Pollard sont venus me voir pendant que j’étais en traitement de chimiothérapie, puis après aux studios RAK à Londres. Mélanie y est également venue », complète Darius Keeler. Un projet qui réconcilie le musicien avec l’exercice périlleux des bandes originales, après une expérience mitigée en 2003 avec Michel Vaillant.

« Pour nous les bandes originales sont des projets en plus. Peu importe que ce soit une comédie ou un film d’horreur, ce qui m’intéresse c’est la musique que je vais pouvoir mettre dessus, précise Darius Keeler. Et combien je vais être payé bien sûr !  Vangelis et Ennio Morricone ont participé à des films pas terribles, mais avec le talent que l’on sait. Faire une musique de films nécessite des compétences particulières. »

On est vraiment dans une démarche inclusive avec nos fans

Qu’il s’agisse d’explorations sonores, de musiques de films ou d’autres projets sur lesquels Darius Keeler prend un malin plaisir à entretenir le suspense, Archive fourmille d’idées pour fuir un immobilisme qu’il exècre, aussi toutes les expériences semblent-elles bonnes à mener. Ainsi, le collectif a-t-il récemment rejoint la plateforme Patreon qui permet à des fans d’accéder de manière exclusive (« premium » dirait-on dans le jargon autorisé) à du contenu inédit ou de bénéficier d’offres du groupe, comme la possibilité d’assister à un soundcheck ou rencontrer les musiciens, moyennant un abonnement. Une démarche qui peut sembler assez inattendue pour qui connaît le groupe, mais que Dave Pen explique avec franchise : « Nous sortons de quatre années durant lesquelles on n’a pas gagné d’argent. Nous avons réfléchi et nous sommes rendus compte que Danny et Darius avaient accès à tout ce qu’ils avaient fait depuis vingt ans, incluant des démos datant d’avant Londinium. Nous gagnons de l’argent quand nous faisons des tournées, ce qui n’est arrivé qu’une fois en quatre ans. Nous ne pouvons pas laisser couler les choses et devons penser à générer des revenus. On ne vit pas comme des rock stars, comme tu le sais. »

Crédit photo : Jessica CALVO (à La Sirène / La Rochelle)

Dans ce projet, les fans sont également une source de motivation pour Archive : « C’est bien entendu également un moyen de nous rapprocher des fans. Il y a tellement de choses à partager que si nous le faisions de manière totalement ouverte, ça deviendrait de la folie et surtout ça perdrait de son sens. Donc on a décidé d’y aller, et le feedback des fans est vraiment excellent. Ils paient pour accéder au contenu, ce qui nous oblige en retour à leur donner ce qu’ils sont en droit d’attendre. On n’est pas du genre à faire payer 1000 dollars pour un « meet and greet » ou pour assister à un soundcheck. On ne le fait pas pour faire du fric, mais simplement pour pouvoir vivre en tant que musiciens professionnels. »Et Darius de conclure: « On est vraiment dans une démarche inclusive avec nos fans, on a tellement d’idées… Plus on donnera, plus de personnes seront intéressées par ce que nous proposons. Ce n’est pas bon de toujours se concentrer uniquement sur l’album à venir, il faut explorer de nouvelles choses à partager. »

Ces idées et cette envie de partage n’ont jamais été aussi fortes qu’au moment où le collectif voit enfin la lumière au bout d’un tunnel. Archive est revenu avec plein de projets et avec l’espoir solidement ancré qu’aucune ombre ne viendra plus se mettre de sitôt en travers de son chemin, avec en point de mire deux concerts au Zénith de Paris les 14 et 15 février prochains au cours desquels le collectif jouera intégralement les albums You All Look The Same To Me et Noise le premier soir, puis Controlling Crowds Part I-IV le lendemain. Lumineux.