Peu d’artistes peuvent se targuer de prendre une ville entière dans leurs valises. C’est pourtant le tour de force d’Agnès Gayraud, alias La Féline. Depuis la sortie de son album Tarbes fin 2022, elle emporte cette ode à sa cité natale partout où elle passe, de scènes en projets, contre les vents et marées d’un secteur musical parfois verrouillé. On a fait étape avec cette pionnière d’une pop française sensible, philosophe mais jamais statique.

Par Palem Candillier

Le parcours de la Féline a toujours été singulier. Si elle se définit comme « une créative », ses autres casquettes (enseignante, autrice de textes critiques comme l’essai Dialectique de la Pop en 2018) ne font que nourrir un refus de répéter le même album. Un format qu’on pourrait dire dépassé mais auquel elle est attachée car il lui apporte « une grande liberté d’expression et de narration. » Après avoir signé de vrais hymnes dans Adieu L’Enfance (2014), Triomphe (2017) et l’excellent Vie Future (2019), elle célèbre ses souvenirs et la « ville moyenne » de Gascogne dans ce disque-concept. « Il y a eu une très belle réception critique qui ne s’est pas faite sur un malentendu où on m’a pris pour “la nouvelle quelque-chose”, on a vraiment écouté ce que j’ai proposé. Il y a des gens qui m’écrivent encore pour me dire qu’ils y retrouvent leur adolescence ou des jeunes qui me contactent parce qu’ils y retrouvent ce qu’ils ressentent en vivant là-bas. De tous mes disques, c’est peut-être celui qui a produit le plus d’horizontalité. »

Au point que Tarbes vivra encore en live en 2024, non sans des contraintes malheureusement communes à beaucoup de musicien.ne.s. Agnès évoque une « classe moyenne » des artistes qui subissent le peu d’appétit des programmations ou l’après-Covid, obstacles face auxquels il a fallu développer une formule minimale avec son batteur François Virot. Une « précarité dans la réalisation des projets » qui selon elle « produit de l’intensité aussi » car cette configuration réduite lui permet d’interpréter autrement l’album. Et pas question d’y injecter des bandes enregistrées. « Je me sens assez militante du vrai live, je trouve que la pop française s’est enfermée dans l’idée qu’il fallait que ça sonne exactement comme sur disque. J’aime cette élasticité du temps quand tu es sur scène. Avec François on se comprend, on n’a pas besoin de jouer avec un MP3 rigide derrière. » Une évolution remarquable quand on sait que Vie Future avait été interprété avec l’Opéra Underground de Lyon. « J’ai eu envie de renouer avec une esthétique plus rock indé » admet-elle.

Crédit photo : Philippe Dufour

Cette précarité aura malgré tout « rendu les choses assez épiques » et ouvert d’autres portes à La Féline en Inde, en Angleterre ou en Belgique. Les dates françaises en quatuor sont quant à elles l’occasion de créer l’événement en convoquant une chorale, assurée tantôt par des amis, tantôt par des chœurs locaux, ce qui est arrivé au Parvis de Tarbes et lors d’une belle performance à la Maroquinerie parisienne, mais aussi ailleurs. « [En novembre], on l’a fait avec vingt-cinq adolescents de la Maîtrise de Colmar, ça produit quelque chose d’humainement riche et d’assez vertigineux, qui n’arrive qu’une fois pour nous tous. Et j’ai l’impression que ma ville se déterritorialise tout à coup et va vers les gens. »

Bien que le livre ne soit pas encore refermé, La Féline pense à l’après, qui aura d’autres couleurs. « J’ai commencé à écrire un album avec uniquement des chansons d’amour. J’en ai une quinzaine, j’ai envie de me confronter à ce challenge et trouver un ton juste et singulier pour parler de ce sujet malgré ses clichés. Certaines salles nous disaient que Tarbes ne pouvait être joué qu’à Tarbes, donc j’espère pouvoir tourner davantage avec ce sujet universel ! » s’amuse-t-elle avant d’évoquer son dernier coup de cœur, The Nits, un groupe néerlandais des 80s. « C’est un modèle pour moi, ils sont à la fois mélodiques, très généreux, assez littéraires tout en ayant été expérimentaux toute leur vie ».

Elle travaillera en parallèle sur le premier disque de son projet slowcore avec Paul Régimbeau (Grive). Côté universitaire, elle s’intéresse actuellement aux “sound studies” et à ce qu’elle appelle les « musiques sans sujet », terme dans lequel elle rassemble des styles aussi variés que l’ambient ou les “paysages sonores”. Une sorte de « travail en creux » de Dialectique de la Pop. Les futurs tarbais d’adoption pourront l’applaudir d’ici là en tant que Féline à Saint-Germain-Laval, Volvic, Montpellier et Rezé.