Alors que les grandes figures du rock s’éteignent ou sont à leurs crépuscules, on cherche les nouvelles idoles. Y a-t-il un nouveau Lemmy Kilmister, un nouveau Pete Townshend ? Parmi les prétendants au titre de personnage truculent et talentueux, Olve Eikemo, alias Abbath, est assurément sur les rangs. Figure incontournable et mythique du black-metal, l’homme est aussi une vraie personnalité, bavard, drôle, mais aussi sensible, assez loin de son personnage noir et menaçant d’Abbath Doom Occulta.

En janvier 2024, le groupe Abbath reprenait la route pour promouvoir son troisième album, « Dread River », paru le 25 mars 2022. Il avait déjà effectué un labourage conséquent des festivals estivaux la même année puis en 2023, ainsi qu’une tournée européenne en co-tête d’affiche avec Watain. 2023 fut l’occasion de se réconcilier avec l’Amérique du Sud avec une place sur l’affiche du Mexico Metal Fest et et cinq dates au Chili, en Argentine et au Brésil. Eikemo donna en effet une prestation pitoyable à Buenos Aires le 13 novembre 2019. Complètement ivre mort, il fut incapable de jouer plus de deux demi-morceaux avant d’être chahuté par le public. Le guitariste-chanteur entreprit alors une cure de désintoxication en 2020 afin de reprendre ses esprits. Depuis, l’homme n’est pas totalement sobre, mais se surveille, toujours furieux contre lui-même d’avoir dérapé à plusieurs reprises auparavant avant cette bien sinistre soirée. Les dates de 2024 étaient encore européennes, avec trois escales en France, mais cette fois en tête d’affiche et dans des salles aux capacités modestes mais flatteuses pour un groupe de black-metal mélodique.

Un gamin comme les autres

Né le 27 juin 1973, Olve Eikimo grandit dans la petite ville portuaire de Os, dans le comté de Hordaland, non loin de Bergen. Il y passe une enfance et une adolescence assez classique, sans drame ni évènement particulier. Au lycée dans les années 1980, le hard-rock et le heavy-metal sont alors très puissants dans les ventes musicales de l’époque. Il devient très tôt un fan de Kiss avec l’album « Creatures Of The Night » de 1982, avant que la découverte de Venom et de Bathory ne le fasse basculer vers une facette plus sombre du heavy-metal, que l’on peut qualifier de proto black-metal.

Comme beaucoup de futurs musiciens de black-metal, il vit une existence de gamin discret baignant dans un monde protégé de toutes les turpitudes du monde mondialisé. La Norvège n’est pas particulièrement touchée ni par la délinquance, ni par des conflits politiques liés à l’immigration. Le pays est petit, et son climat rude fait qu’il vit comme une enclave sereine. La société norvégienne est à cette image : on y pratique la politique feutrée du consensus centriste, l’ordre règne tranquillement mais fermement. Comme l’expliquait Gylve Nagell, alias Fenriz, le batteur de Darkthrone dans le documentaire « Until The Light Takes Us » de 2008 : « deux norvégiens laissent toujours deux mètres entre eux, cela veut tout dire. » Cependant, celui qui ne veut pas accepter ce système devient vite un marginal et se retrouve mis au ban de la société. Nagell, Øystein Aarseth alias Euronymous, fondateur de Mayhem, ou Varg Vikernes de Burzum sont tous issus de cette société propre et sans problème apparent.

Eikemo devient bassiste en référence à son idole Gene Simmons, et fonde avec quelques copains le groupe de death-metal Old Funeral, dont un certain Varg Vikernes sera brièvement le guitariste en 1990-1991, remplaçant Harald Nævdal, alias Demonaz. Nævdal et Eikemo se lient d’amitié et fondent leur propre groupe nommé Immortal en 1990.

On le cite rarement, mais le trio Immortal sera l’un des deux pionniers solides du black-metal norvégien emblématique avec Darkthrone et son album « A Blaze In The Northern Sky ». Ce dernier sera publié un mois avant celui de Burzum en mars 1992, qui va engendrer la légende stupide selon laquelle le black-metal doit être enregistré de manière la plus crasse possible. Vikernes expliquera qu’il exigea pour cet enregistrement le micro et l’amplificateur le plus pourri possible. Ce ne sera pas le cas pour Darkthrone comme pour Immortal et son « Diabolical Fullmoon Mysticism ». Les limites seront celles du budget financier, et une volonté de garder un côté cru inspiré des premiers albums de Venom, Bathory, et Hellhammer/Celtic Frost. Mais le but est cependant d’avoir un son puissant et menaçant. Les compositions de Darkthrone et d’Immortal sont par ailleurs bien plus riches et élaborés que celles de Burzum.

On ne va pas revenir ici sur la sombre saga du black-metal norvégien, et notamment les turpitudes du groupe Mayhem et de son guitariste Øystein Aarseth, le Black-Metal Inner Circle et la boutique de disques Helvete, les incendies d’églises, le suicide macabre du chanteur Dead, les photos servant de pochette, les colliers de bouts de crâne, les menaces de mort, puis le meurtre sanglant de Aarseth par Vikernes pour des histoires de fric. Nævdal et Eikemo sont dans le périmètre proche de toute ces affaires de par la petitesse de la scène extrême du début des années 1990 en Norvège, mais comme Nagell et Darkthrone, ils vont rapidement préférer se consacrer à la musique, juste au bon moment avant le drame final. Ils ne seront pas impliqués dans les incendies, dans les meurtres, ni dans les dérapages néo-nazis de Vikernes. Contrairement à Immortal, Darkthrone se plantera avec son album de tous les extrêmes « Transylvanian Hunger » de 1994 avec le slogan provocateur de mauvais goût au verso : « Pur Black-Metal Norvégien Aryen ».

Immortal

Immortal est composé de Demonaz à la guitare et au chant, d’Abbath à la basse et au chant, et de Armagedda à la batterie, il publie sur le label français Osmose Productions le disque fondateur « Diabolical Fullmoon Mysticism ». C’est un album puissant, doté de compositions ambitieuses. Si le trio se concentre sur sa capacité de trio guitare-basse-batterie, ne faisant pas rentrer d’instruments extérieurs comme des claviers à l’instar d’Emperor, préférant le côté brut du riff, Immortal cherche l’architecture musicale. Des morceaux comme Cryptic Winterstorms ou A Perfect Vision Of The Rising Northland sont des pièces épiques à tiroirs, montrant l’ambition d’Abbath et Demonaz qui signent toutes les compositions.

Le groupe va rester ancré sur une ligne black-metal brutale et implacable, faisant du trio l’une des formations les plus extrêmes du Metal des années 1990, dépassant vite Darkthrone sur le sujet, mais sans la facette sulfureuse. Les albums « Pure Holocaust » en 1993 et « Battles In The North » en 1995 confirment l’incroyable puissance musicale et sonore d’Immortal, toujours nimbés dans les codes visuels stricts du black-metal norvégien : corpse-paints, photos et vidéos dans la forêt enneigée, logo illisible. Le groupe tourne beaucoup, contrairement à ses camarades Mayhem, décapité avec la mort de Euronymous en 1993, ou Darkthrone, qui refuse de tourner dès 1992. Le trio mange de la scène, et se construit une réputation qui résiste aux nouvelles sensations montantes du genre, moins hardcore dans l’esprit, et aux racines moins sulfureuses : Cradle Of Filth, Dimmu Borgir, Marduk…

Avec « Blizzard Beasts » en 1997 qui introduit le puissant batteur Horgh, Immortal décide d’aller au-delà de l’au-delà avec un disque d’une brutalité inouïe. Dans l’exercice, Demonaz commence à subir les souffrances physiques d’une radicalité sonore qui met à rude épreuve son corps. C’est que les riffs glaciaux nécessitent une dextérité à toute épreuve. Demonaz se blesse à l’avant-bras riffeur, et ne s’en remet médicalement pas. Il devient évident qu’il ne peut rester dans le groupe comme guitariste. Il en devient seulement le parolier pour l’album « At The Heart Of Winter », qui est le fruit musical quasi-exclusif d’Abbath, qui assure les guitares, la basse, le chant et les quelques rares claviers. Avec ce disque, Eikemo fait la démonstration spectaculaire de son talent, qui rongeait son frein, fondant en parallèle en 1996 son propre tribute à Motörhead : Bömbers.

Les titres sont plus longs et techniques. Les parties de guitare sont bien plus ambitieuses, s’ouvrant à des univers plus mélodiques et progressifs, même si cela est parfaitement fusionné dans une musique black-metal implacable. Si le Immortal dirigé par Demonaz avait déjà produit de grands disques, l’approche nouvelle d’Abbath emmène le trio vers des horizons plus audacieux. « At The Heart Of Winter » est d’entrée un nouveau chef d’oeuvre pour Immortal, largement dû à l’intense connivence entre les cathédrales de riffs d’Abbath et les fulgurances de batterie de Horgh.

Le rythme de tournée s’intensifie très largement, Iscariah devient le nouveau bassiste de scène. Abbath est une bête de scène, une sorte de Lemmy Kilmister black-metal, n’hésitant pas à jouer, oh blasphème, avec le second degrés. Horgh et Isacariah apportent une rythmique technique de premier ordre qui bouleverse tous les codes du black-metal, plutôt cantonné aux concerts en clubs avec un son épouvantable. Abbath prend très largement le contrôle d’Immortal, imposant dès son premier disque en tant que guitariste un nouveau logo plus lisible, qui deviendra presque aussi célèbre que celui de Motörhead chez les fans de Metal.

Abbath injecte des codes heavy-metal d’une grande richesse inspirés de la NWOBHM et de la scène thrash-death nord-européenne (Bathory, Mercyful Fate, Celtic Frost, Kreator, Destruction…) Il est un véritable érudit, lisant et écoutant des quantités de livres et de disques, passionné absolu derrière sa carcasse épaisse de démon black-metal. Les albums « Damned In Black » de 2000 et « Sons Of Northern Darkness » de 2002 sont des chefs d’oeuvre de cet esprit.

Tumultes

Immortal a été signé sur le label Nuclear Blast en 2001 après une fidélité exemplaire chez les français d’Osmose, petit label de passionnés qui a joué un grand rôle dans le développement du black-metal européen. Mais la petite maison ne peut suivre devant les ventes grandissantes du trio, qui a commencé à jouer sur le continent Nord-Américain. « Sons Of Northern Darkness » est donc mieux promu, et permet à Immortal d’atteindre des ventes tout-à-fait satisfaisantes à l’international, encore plus pour un groupe de black-metal sans compromis. Car chez eux, toujours pas de synthétiseurs ou de choeurs féminins. Ils jouent forts, vite, agressif, même si les structures de guitares sont plutôt techniques.

Cependant, au terme de la nouvelle tournée de promotion, Immortal annonce sa séparation pour motifs personnels. Clairement, les trois musiciens sont lessivés du rythme albums/tournées de plus en plus dense depuis le milieu des années 1990. Abbath monte son projet I et publie un unique album en 2006, « Between Two Worlds ». A cette occasion, il retrouve Demonaz qui signe les textes, et Armagedda à la batterie. La reprise de contact se poursuit, cette fois avec le batteur Horgh, et le trio Abbath-Demonaz-Horgh décide de relancer Immortal pour une série de festivals durant l’été 2007. Iscariah ne sera pas du voyage, remplacé par Apollyon à la basse, membre d’Aura Noir. Le set en tête d’affiche au Wacken Open Air sera enregistré et filmé, et publié en 2010 sous le nom de la tournée : « The Seven Date Of Blashyrkh ». C’est un show impressionnant, qui montre autant la solidité musicale du groupe que la ferveur du public. Finalement, en se séparant et en ayant fait attendre son public, ce dernier a grossi avec le culte du trio.

La reformation est actée, et le groupe se lance dans l’enregistrement d’un nouvel album qui sort en septembre 2009 : « All Shall Fall ». Si l’album conserve les mêmes ingrédients que ses prédécesseurs, il manque un petit quelque chose de furieux et d’intense. La tournée qui suit se passe bien, et confirme le statut toujours solide d’Immortal sur la scène Metal. Un nouvel album est lancé au cours de l’année 2010, mais les nuages s’amoncellent au-dessus du groupe. Les relations entre le jovial Abbath et le rigide Demonaz se durcissent. L’interview du duo pour le film documentaire « Until The Light Takes Us » de 2008 sur le black-metal norvégien du début des années 1990 montre un étrange mécanisme, entre le guitariste toujours prompt à plaisanter un peu, et le parolier qui lui répond sèchement, car il s’agit de black-metal, et on n’est pas là pour rire.

L’affaire va se dégrader au point où le nouvel album en cours d’enregistrement ne verra pas le jour. En 2014, une procédure judiciaire confronte Abbath et Demonaz sur la possession du nom du groupe. Dégoûté par la tournure des choses, le guitariste s’en va devant l’impossibilité de pouvoir travailler à nouveau ensemble après un tel paroxysme d’animosité entre les deux ex-amis.

Demonaz se retrouvera à nouveau en procès sur le nom, cette fois avec le batteur Horgh. Le duo aura enregistré un nouvel album d’Immortal, « Northern Chaos Gods » sorti en 2018. Demonaz se sera chargé des guitares, mais il est toujours dans l’incapacité de supporter une tournée complète à cause de son bras. Horgh réclamera sa part sur les royalties du nom, estimant qu’en étant là depuis « Blizzard Beasts » en 1997, il est légitimement un membre permanent d’Immortal. Demonaz avait déposé le nom en juillet 2019, mais sans le prévenir. Le juge tranchera en faveur du batteur, et le nom est désormais propriété de ce dernier et de Demonaz. Ironiquement, Abbath, dont la contribution fut majeure pour Immortal, ne jouit d’aucune paternité officielle sur le patronyme du groupe auquel il aura tant apporté. Demonaz, désormais seul, publiera l’album « War Against All » en 2023. Mais les procès sordides et l’absence de tournées va enterrer peu à peu la renommée chèrement acquise grâce à Abbath.

Abbath, le groupe

Techniquement, Olve Eikemo n’a pas trop de soucis à se faire. Il est parti avec son personnage mythique de guitariste d’Immortal, son maquillage, son costume et son talent. Il est rapidement signé chez Season Of Mist, et monte un trio avec le bassiste King Ov Hell alias Tom Cato Visnes, et le batteur Creature alias Carl Emil Folke Wiksten. Le trio reprend l’oeuvre de Eikemo là où il l’avait laissé en quittant Immortal. Abbath, le groupe, propose un premier album, « Abbath », en 2016. Il est tout entier tourné vers ce mélange de black-metal et de black’n’roll, avec une part un peu plus importante pour cette seconde composante.

Contre toute attente, la session photo de promotion est absolument hilarante. Le trio, en grand apparat black-metal, maquillage morbide, vêtements noirs, bottes de cuir, bracelets à clous, se fait photographier dans des scénettes typiques de touristes à Londres. Tout y passe : les gardes royaux de Buckingham, les cabines téléphoniques, le food-truck de rue, le tout avec des poses typiques du black-metal norvégien. Le second degrés est à tous les étages, mais il sera peu goûté par les puristes du genre, qui voit en Eikemo une sorte de pitre qui dessert la cause, et ne cherche qu’à faire du business. La virulence de Demonaz était-elle finalement justifiée ? Abbath ne serait-il pas devenu quelqu’un cherchant davantage la fortune que la qualité musicale, quitte à souiller une image qui jusqu’alors était d’un noir de jais menaçant absolument intact ?

L’écoute de l’album « Abbath » permet vite de comprendre que le guitariste n’a absolument rien trahi. Il propose des titres très forts, comme Winter Bane, Count Of The Dead, Fenrir Hunts, ou le presque doom-metal Root Of The Mountain. Le disque propose également en bonus une reprise très réussie de Riding On The Wind de Judas Priest. Pour la tournée qui suit, un second guitariste est ajouté, le français Silmaeth. Abbath a tourné la page, et offre désormais sur scène un best-of des meilleurs titres d’Immortal dont il reste majoritairement l’auteur, et de nouvelles compositions qui se fondent bien au milieu de ces désormais classiques du Metal.

Le groupe Abbath est entièrement recomposé durant l’année 2018. Mia Wallace, qui a officié dans le Triumph Of Death de Tom Fischer, le fondateur de Celtic Frost, prend le poste de bassiste. Uki Suvilehto assure la batterie, Ole Andre Farstad la seconde guitare. « Outstrider » qui sort le 5 juillet 2019, revient à une sonorité plus noire et brutale, même si les influences thrash-metal sont un peu plus prégnantes. C’est encore une fois un très bon disque, plutôt décrié car s’éloignant un peu plus de l’univers d’Immortal. La marque sonore reste intimement accroché à Abbath lui-même. Comme Jimi Hendrix, Jimmy Page, Ritchie Blackmore ou Dave Mustaine auparavant, son style est reconnaissable entre mille, que ce soit la guitare ou le chant. Comme Matt Pike, autre mythe des années 1990 à 2010 avec Sleep et High On Fire, et avec qui Abbath est ami, sa patte sonore est absolument unique. Et même si la musique flirte davantage avec le black’n’roll et le thrash-metal. Cela donne d’excellents titres comme The Artifex, Harvest Pyre, ou Scythewinder. Mais il devient clair que Eikemo se fiche royalement de l’héritage d’Immortal, et de ce qu’il doit faire ou pas. En interview, il est prolixe, drôle, à des années-lumières de l’homme mystérieux des forêts norvégiennes. Il se rapproche plutôt d’un Lemmy Kilmister, jamais avare d’une anecdote du mec qui a roulé sa bosse, avec un sens de l’humour tonitruant assumé. Il ne se vexera nullement de cette vidéo virale sur sa gamelle lors de son entrée en scène filmée sur écran géant pour l’édition du Motocultor Festival 2017, glissant bêtement sur un terrain boueux en courant avec sa guitare vers la scène. Abbath, l’une des légendes du black-metal norvégien, le guitariste mythique d’Immortal, peut se prendre une vieille pelle et s’en remettre.

Le difficile troisième album

Mais en 2019, c’est aussi la tournée qui finira piteusement en Argentine. Puis ce sera la crise du COVID qui va mettre dans l’incertitude et en sommeil toute activité live pendant plus de deux longues années. Durant cette période, le management licencie sans explication Mia Wallace, avant qu’Abbath, ayant retrouvé ses esprits, ne la rappelle en 2021 en vue de l’enregistrement d’un nouvel album. C’est le line-up Eikemo, Wallace, Farstad, et Suvilehto qui se lance dans l’enregistrement du troisième album d’Abbath.

Pour ce nouveau disque, le guitariste est revenu à ses amours de musique de toujours : Venom, Celtic Frost, Bathory, Motörhead, et dans une moindre mesure Kiss, que l’on retrouve surtout dans l’aspect un peu théâtral de certains morceaux massifs comme Scarred Core. Mais en suivant cette voix, Eikemo continue à rester dans les marges du black-metal des années Immortal. Ce dernier genre s’entend dans les utilisations de riffs glaciaux et le chant particulier d’Abbath. Musicalement, « Dread River » est entre le black’n’roll et le thrash-black.

Est-ce pour autant un mauvais disque ? Assurément non, il est même tout-à-fait délectable pour qui sait l’apprécier sans constamment avoir en tête Immortal. Il règne sur les neuf morceaux de ce troisième album un souffle épique du meilleur niveau, comme les très heavy Myrmidon et Septentrion. Les intonations d’Eikemo se font presque kilmisteriennes par moments. On y trouve dans certains riffs une petite touche de High On Fire, groupe qui a lui aussi biberonné à Bathory, Venom et Celtic Frost.

En bon fans de Metal qui se respectent, Abbath reprend Trapped Under Ice, un classique bien thrash de l’album « Ride The Lightning » de Metallica de 1984. Le résultat est très convaincant, Abbath apportant une touche black’n’roll particulièrement bien sentie sur ce titre parmi les meilleurs de Metallica. L’album se termine par deux morceaux épiques particulièrement solides : The Book Of Breath et Dread River. Doté d’une production propre, puissante, et efficace, sans effet de trop, « Dread River » confirme la volonté d’Abbath de poursuivre dans un crossover de black-metal et de heavy-metal classique. L’édition deluxe offre un porte-clé, un drapeau, et un bonus : une reprise de Make My Day de Motörhead. Eikemo est saisissant dans le rôle de Lemmy Kilmister. Il s’agit d’un quasi-sosie vocal !

Si cela ne ravira pas les fans inconsolables d’Immortal, deux paramètres sont désormais irréversibles. D’abord, il est fort peu probable que la réconciliation entre Abbath et Demonaz soit envisageable, pas plus que celle entre Horgh et Demonaz. Immortal est désormais une entité prisonnière de petits arrangements comptables qui auront mis au tapis non seulement une amitié d’adolescence, mais aussi la crédibilité d’Immortal aux yeux des fans purs et durs. Ensuite, Eikemo a cinquante-et-un ans, et il est fort peu probable qu’il ait encore l’énergie et l’envie de refaire du pur black-metal sans compromis comme le fit si bien Immortal dans les années 1990-2000. La musique de « Dread River » est l’évolution logique de celle d’un homme qui aura voué sa vie à développer les riffs black les plus addictifs.

Julien DELEGLISE