Entre deux apocalypses, BRUIT NOIR réclame en préambule d’un nouvel album toujours plus nihiliste 45 minutes de silence pour accompagner la dégueulasserie du monde. Son chanteur Pascal Bouaziz ne fait pas sa pute et le brise menu pour BEST

Par Bruce Tringale

Cette plage grise sur votre pochette évoque le dernier album de Blur.

Pascal Bouaziz : Qui ? On s’est retrouvés sur cette plage à Calais par moins 2° avec une bande de doux dingues qui se baignaient en costume ; ils ont accepté très gentiment de figurer sur la photo. C’est pour ça que je ne suis pas sur la pochette : je ne pouvais pas lutter contre Wonder Woman. Notre photographe est le même qui bosse sur toutes nos pochettes : Simon Gosselin.

Sartre se demandait ce que valait la littérature face à la misère du monde. Est-ce également ton positionnement sur Artistes et Chanteur engagé ?

Pascal Bouaziz : Sartre, dans Best, carrément ! Je n’ai pas de positions, pas d’avis définitifs sur rien. Les chansons sont très claires pour moi, surtout quand elles sont un peu compliquées. C’est ça qu’il faut comprendre : c’est compliqué. Tout ce qui est trop simple est très faux. Si ce qu’on fait ne vaut rien face à la misère du monde comme tu dis, on le fait quand même sachant que rien n’a de sens.

Crédit photo : Simon Gosselin

Bob Dylan, Joan Baez ou Leonard Cohen ont éveillé les consciences. Plus globalement, le rock a été la bande son des grands changements sociaux. Pourquoi ton bilan si négatif ?

Pascal Bouaziz : Ni Dylan, ni Cohen, ne sont des chanteurs « positifs ». La période engagée de Dylan a duré deux ans sur soixante ans de musique, puis il est passé à autre chose. Leonard Cohen n’a jamais accompagné les changements sociaux ! Les chanteurs engagés n’ont éveillé les consciences que de ceux qui voulaient être éveillés deux secondes au milieu de leurs trips pendant les 60’s et 70’s. Mais on ne va pas quand même pas revenir sur l’imposture hippie ? Le punk a nettoyé tout ça. L’histoire dira si l’on se souviendra de la fin du vingtième siècle comme une période de changements sociaux majeurs, ou de l’aveuglement devant la catastrophe qui nous sera tombée dessus !

Coup d’état vomit sur le vieillissement de cette culture rock. Pourtant Cohen, Iggy ou les Stranglers montrent que l’on peut vieillir avec élégance, sortir de grands albums…

Pascal Bouaziz : Jusqu’à l’Ehpad, et dans leurs chaises roulantes, ils porteront leurs perfectos et leurs converses trouées ! Il n’y a pas si longtemps, la perspective de voir des octogénaires singer des jeunes gens auraient été vu comme un sketch des Monty Python. Ce n’est pas de vieillir dignement le problème, c’est de faire semblant de ne pas vieillir. Cohen n’a jamais été jeune. Et Iggy, t’as vraiment envie de lui offrir un gilet en laine à boutons. Couvre-toi pépère, on t’aime beaucoup, mais t’as plus l’âge…

Les Ouïghours, la crise des réfugiés, les retraites, l’islamophobie ; s’agit-il de l’album le plus politique pour un chanteur dégagé comme toi ?
Pascal Bouaziz : Peut-être l’album le plus libre de ce côté-là, oui. Plus la connerie politique est grande, et elle est exponentielle en ce moment, plus la réaction épidermique qu’est Bruit Noir devient violente et exponentielle.

Dans Calme ta joie, tu listes ces révolutions qui ont engendré les pires catastrophes. Ce n’est pas contradictoire avec ton hommage à Greta Thunberg ou François Ruffin, qui prônent une révolution progressiste ?
Pascal Bouaziz : Non. Calme ta joie vise à bouffonner les ravis de la crèche, les enthousiastes, les ahuris réjouis bas du front de quelque bord qu’ils soient. Rien à voir avec Ruffin, Denis Robert, Julian Assange, qui sont de grands réalistes.

Au milieu de toute cette noirceur émerge un hommage à Prince et Nino Ferrer.

Pascal Bouaziz : Les deux ont écrit de très grandes chansons, ont eu une fin pathétique, une relation difficile et contrariée au monde en général. Après, je me sens évidemment beaucoup plus proche de Nino Ferrer. Prince, c’est un extraterrestre. Presque pas réel. Mourir comme ça, comme un con, comme une mamie, abandonné. Comme je le chante : « Des love symbols partout, et personne pour te tenir la main… »

Les albums de Bruit Noir se terminent sur une déclaration d’amour pour ta femme et tes enfants. Est-ce ta manière d’excuser de tant de désespoir ? 

Pascal Bouaziz : Adieu sur le premier album n’est pas l’ombre d’un instant une chanson d’amour. Deux enfants est bien une chanson sur mes enfants, mais du point de vue de la fin du monde à venir, pas vraiment la chanson d’amour typique.

Je devrais demander pardon pour tant de désespoir ? Un jour ce seront les gens qui n’ont jamais rien fait qu’espérer à qui on demandera des comptes et ce ne sera pas joli.

Bruit Noir, IV / III, sorti le 15 septembre 2023