Tout a été dit cent fois, Et beaucoup mieux que par moi. Aussi quand j’écris des vers, C’est que ça m’amuse, C’est que ça m’amuse, C’est que ça m’amuse et je vous chie au nez.” Avec cette maxime, Boris Vian a permis à des artistes de se libérer, d’éviter tout complexe et syndrome de l’imposteur.

On crée pour le plaisir, et on peut faire tout ce dont on a envie. Quand on observe la carrière artistique de Carmen Maria Vega, artiste sans borne, on ne peut que comprendre pourquoi elle a chanté du Vian à trois reprises, dont une nouvelle fois en fin d’année 2023 avec l’album Fais-Moi Mal Boris Vian, on ressent parfaitement le lien entre ces deux artistes libres. Carmen Maria Vega est la plus rock des chanteuses jazzy, et encore, la qualifier seulement de chanteuse est limitatif, car elle joue la comédie au théâtre ou dans des comédies musicales, elle fait du pole dance sur des scènes de cabaret. Elle ne s’interdit rien, pour son plaisir et le nôtre. Après avoir joué Mistinguett et Lady Capulet dans des comédies musicales, la suite des aventures de Carmen sera à nouveau sur scène avec “une revue érotique pour fin 2024-25 pour du long terme, les chansons sont prêtes depuis 6 ans. Ça se situe dans une esthétique 80 – 90, un peu à la In Bed With Madonna.” Tout un programme !

(c) Chloe Jafe

Avec ce nouvel album de reprises, après le magistral et autobiographique Santa Maria en 2017, Carmen, par son choix de chansons, s’adresse aux femmes, et l’on peut voir à quel point les textes de Vian sont indémodables : “Ne vous mariez-pas les filles”, “La complainte du progrès”, “Strip Rock”, “Fais-moi mal Johnny”… Et résonnent fort en ces temps de Metoo et Musictoo. Pour Carmen, la libération de la parole des femmes est “importante mais ça ne devrait pas être un événement que les femmes parlent, c’est normal. Car un événement, ça passe.” Après avoir découvert Vian “à l’école, un peu comme tout le monde, avec l’Ecume des jours, que [elle] n’appréciai[t] pas trop”, Carmen fut invitée par Fred Pallem pour une reprise, et fort heureusement l’aventure se poursuivit par deux EP et désormais avec un 14-titres bien senti sorti chez At(h)ome. Vian était un fin observateur de son époque, et dire qu’il le serait encore aujourd’hui ne serait pas un non-sens tant le monde change si peu, et Carmen peut faire siens les propos de Vian : “Si tu regardes ‘‘Le déserteur’’, depuis que les hommes sont sur la terre, on a toujours fait la guerre. Il serait temps que la Terre nous expulse. Je prendrais les armes, oui, mais juste pour protéger ceux que j’aime.

Carmen a pu s’approprier l’œuvre de Vian jusqu’en allant shooter les photos de l’album chez lui, dans son appartement laissé en l’état, où a régné une certaine magie des mots et du jazz. “Je connais la gestionnaire du patrimoine de Vian depuis plus de 10 ans, et une amitié au long cours en est née. Cela remonte au premier EP sur Vian”, c’est donc en toute confiance et en terrain connu que Carmen se dévoile encore au travers de mots de Vian. C’est d’ailleurs dans “Strip Rock, [qu’elle] chante plus lentement, comme un long effeuillage.” que Carmen se reconnaît le plus en Vian. Une chanson qu’on dirait tout droit écrite pour Carmen.

Yann Landry

Carmen Maria Vega, Fais-Moi Mal Boris Vian, At(h)ome, 27/10/2023