S’il y a bien un festival dont je n’avais pas soupçonné l’importance et la qualité, c’est bien le Nancy Jazz Pulsations, ou NJP. Pourtant, mes amis de Heartbeat Parade m’en avaient parlé de manière très positive. Aujourd’hui, je répare mon manque de curiosité. Bien ancré dans son époque et sa ville, le festival célèbre ses 50 ans. Et qui de mieux que son directeur et programmateur, Thibaud Rolland, pour nous plonger dans les coulisses et l’historique du festival ?

BEST : En tant que directeur du festival racontez-moi votre historique avec Nancy Jazz Pulsations ?

Thibaud Rolland : Je suis originaire de Reims, j’ai un lien avec le jazz à la base car saxophoniste et classe de jazz au Conservatoire. J’ai découvert le festival à 20 ans (2008), alors étudiant en licence à Metz et je tombe sur les affiches de NJP collées à travers la ville. Je découvre stupéfait l’existence d’un festival qui mêle TOUS les genres musicaux, et ce, à 200 kms de ma ville de naissance. Un festival qui n’a jamais choisi de mettre d’un côté les jazz(s), et de l’autre les musiques actuelles. Une révélation.

J’ai donc acheté 2 soirées avec un ami pour voir le trio Marcus Miller / Victor Wooten / Stanley Clarke (qui n’a jamais plus tourné sous cette forme légendaire) ainsi que la soirée Coldcut et Birdy Nam Nam. A partir de là, naquit chez moi une passion sans limite pour NJP provocant automatiquement le désir d’y effectuer mon stage, ce qui s’est réalisé quelques mois après (mai 2009). Je suis alors assistant de production et de programmation pendant 6 mois, l’occasion pour moi de mettre enfin les mains dans la programmation musicale, le métier pour lequel je me destinais, en m’occupant du OFF du festival.

À partir de là, en parallèle de mes activités (organisation de plusieurs festival via l’association Velours à Reims que j’ai fondé – mais aussi avec la casquette de booking à Lyon chez Yuma Productions (Rap) puis Limitrophe Production à Marseille (Groove)), je reviens bosser un mois tous les ans en tant que chargé de production sous la houlette de Justine Loubette (actuelle directrice adjointe) et Patrick Kader, directeur historique du festival qui me propose en décembre 2016, lors d’un déjeuner aux Transmusicales de Rennes, de reprendre son poste.

A partir de 2018 je commence donc à faire la navette entre Reims et Nancy en m’impliquant sur l’artistique de NJP et je prends officiellement la direction générale et artistique du festival en 2019, avec une joie immense dans la mesure où la passion que je voue à NJP est intacte depuis 14 ans et que le fait de prendre la direction du festival était un rêve que je gardais précieusement pour moi. Et qui s’est donc réalisé.

BEST : Avec la place Stanislas et son architecture Art Nouveau, Nancy a de nombreux atouts en termes d’urbanisme, essayez vous dans le cadre du festival de mettre tout ça en avant ?

Thibaud Rolland : La configuration du festival est telle qu’elle permet en effet d’habiter de nombreux lieux et proposer différents types de musique à différents types de publics. Si le cœur du festival est depuis sa création situé au Parc de la Pépinière où siègent chaque année de manière temporaire notre « Chapiteau » et son frère le « Magic Mirrors », la Salle Poirel par exemple, où le festival fût également installé dès la première édition, est un magnifique théâtre à l’italienne de 800 places, de style Art Nouveau.

Le OFF du festival (les événements gratuits, qui sont nombreux) nous permettent également d’organiser des concerts dans des lieux d’exception, tout en restant au plus proche des habitants. Cette année, pour le 50e anniversaire, nous avons fait le choix d’agrandir notre habituel journée inaugurale « Nancy Jazz Poursuite » (déambulations et concerts au marché central, dans les rues, les bus, les bars, les restaurants…) pendant 36h, posant nos valises le dimanche Place de la Carrière qui jouxte la place Stanislas, elle aussi classée au patrimoine mondial de l’UNESCO.

L’année passée nous avons organisé une convention professionnelle (Nancy Jazz Up! Europe) qui a accueilli une centaine d’artistes et professionnels européens du jazz et des musiques actuelles. À l’occasion des conférences, des showcases ou des speed-meeting pour lesquels les participants étaient venus, l’idée était alors de faire découvrir la Ville Vieille de Nancy et son architecture. Je pense au Théâtre Le LEM ou à la MJC Lillebonne (tous deux de très charmants anciens hôtels particuliers). Et comme le soleil fut de la partie, le pari fut réussi.

Enfin, à travers le Nancy Jazz TOUR (la production de tournées par le festival pendant la quinzaine), nous allons également exploiter de très beaux lieux dans toute la région comme par exemple le Château d’Haroué (surnommé « Le Chambord Lorrain »).

BEST : Il y a donc une vraie interaction avec la ville ?

Réponse : Oui, de par l’ADN même du festival. Et comme Nancy est une ville à taille humaine, tout peut se faire à pieds ou en vélos entre les salles. Il arrive plusieurs fois pendant la quinzaine que cinq lieux jouent en même temps, le même soir. Cette année on peut par exemple voir en même temps le rock de dEUS et le funk de Cory Wong (Vulfpeck) au Chapiteau, l’electro de Acid Arab ou KOKOKO! à l’Autre Canal, l’orchestre symphonique de l’Opéra National de Lorraine avec Yuri Buenaventura et son band salsa mais aussi Naïssam Jalal au Théâtre de la Manufacture, ou encore GUTS et David Walters au Magic Mirrors.

BEST : Si quelqu’un vient lors du festival jusqu’à quelle heure peut-il faire la fête ? Y a-t-il des structures privées qui font le relais plus tard ou avez-vous des soirées qui finissent très tardivement ?

Thibaud Rolland : Il faut que je vous parle du Magic, plus génial club de France pendant 10 jours, qui ferme à 3h00 les mardi/mercredi, 4h00 le jeudi et 5h00 les vendredi et samedi. Les aînés ont eu l’intelligence de commencer à louer un Magic Mirrors (cabaret circulaire en bois vraiment magique) depuis 1994. Au départ il était dédié au dispositif Quartiers Musique (action socio-culturelle la plus importante du programme Nancy Jazz Act) et à des bœufs endiablés toute la nuit distillés par les artistes qui venaient de se produire au Chapiteau, après minuit.

L’artiste LYNKS se produira par exemple cette année le mardi 17 à 1h00 du matin et sera suivi de Bernadette côté DJ pour terminer à 3h00 gentiment. L’Autre Canal (SMAC de Nancy) où sont organisées pour NJP plutôt les « soirées électro », accueillera également 2 soirées qui termineront à 4h30 du matin (la soirée Musique de Fête avec Kokoko!, Acid Arab etc, et les 20 ans de Ed Banger avec Pedro Winter b2b Kiddy Smile notamment). Bref, pendant NJP on fait la fête jusqu’à tard 😉

BEST : Y a-t-il un travail que vous avez fait en commun avec les commerçants et les structures nancéiennes pour l’accueil des festivaliers où peuvent ils se renseigner par exemple?

Thibaud Rolland : NJP est l’un des rares festivals à avoir une boutique à l’année. Nos bureaux sont situés à l’extrémité de la vieille ville symbolisée par la majestueuse Porte de la Craffe, ancien vestige médiéval que nous côtoyons de fait au quotidien. La boutique, au rez-de-chaussée, constitue une large vitrine donnant sur la rue et permet pendant 2 mois de l’année de renseigner les spectateurs, organiser de mini-événements et nous implique aussi au sein de l’association des commerçants de la Ville Vieille. Le reste de l’année elle accueille parfois des créateurs divers.

Par ailleurs, un partenariat avec l’office du tourisme appuyé permet de créer un autre point d’information pour les touristes et spectateurs car il est situé Place Stanislas, de l’autre côté de la ville vieille. Nous y avons d’ailleurs installé une autre exposition dédiée au livre des 50 ans mais aussi à la mise en valeur de nos nombreux produits dérivés inventés cette année. Par exemple la bière « 73 » (voir paragraphe ci-dessous) imaginée avec deux brasseurs du coin, ou encore les chocolats de la mythique « Maison des Soeurs Macarons » qui a créé un coffret chocolat spécial dédié aux 50 ans de NJP.

BEST : Le festival a toujours été très prestigieux dans sa programmation, il y a eu des artistes comme Miles Davis qui sont passés là-bas, comment est axée votre programmation à l’heure actuelle, et quels sont ses critères ?

Thibaud Rolland : Depuis sa première édition, NJP a souhaité considérer la musique dans son ensemble, en faisant la part belle au(x) jazz(s) évidemment (Ray Charles, Nina Simone, Oscar Peterson), mais en invitant aussi le blues dès le départ et les ancêtres des musiques électroniques (Terry Riley par exemple), puis rapidement les musiques du monde dans les années 80 (Doudou Ndiaye Rose) et la pop (Chris Isaak) et dans les 90s le rap (RUN DMC en 93), l’électro (Daft Punk en 97) ou la chanson (les débuts de -M-, Camille…). Je m’attelle donc à proposer des soirées aux couleurs cohérentes, par genre musicaux et qui collent au lieu dans lequel nous les positionnons. Maintenant, j’aime bien aussi inventer des plateau d’artistes qui parfois diffèrent un peu en terme de couleur comme le SIXUN + dEUS + CORY WONG

La mission de défricheur de NJP qui a fait sa réputation est également intacte. Zaho de Sagazan par exemple, jouait en 2022 à Nancy, et revient cette année, avec une renommée qui a décuplé en un an de façon déconcertante !

BEST : Quels sont les points forts de cette édition 2023, dites nous pourquoi nous allons nous déplacer en masse ?

Thibaud Rolland :

  • Pour découvrir l’expo à Poirel « LET’S PLAY », immersive, ludique et gratuite qui retrace 50 ans de festival : on y a construit un bus en bois, installé un chapiteau, des consoles son et lumière pour que le public puisse jouer avec Snarky Puppy, on a reconstitué une pièce avec une boule à facette pour le Magic Mirrors. On y découvre de multiples anecdotes et objets collectors. Bref ça vaut vraiment le détour.
  • Si vous êtes amateur de bière, c’est la bonne année pour venir car nous venons de sortir la bière « 73 », une New England Pale Ale savoureuse qui a été brassée en écoutant la playlist des 50 dernières années du festival ! Et la Lorraine est globalement une sacrée terre de brasseurs !
  • Parce qu’on organise un projet de créa exceptionnel avec Michael League (leader de Snarky Puppy) qui réunit la crème du jazz international en clôture du festival !
  • Pour se faire un City break entre potes, ou entre amoureux La ville est charmante, Nancy Thermal vient d’ouvrir, l’architecture est vraiment classe et y a moyen de faire la teuf comme il faut pendant NJP.
  • Parce qu’il faut faire NJP une fois dans sa vie et que venir pour l’édition des 50 ans paraît le plus logique !

BEST : Un demi-siècle d’histoire vous contemple, qu’est-ce que cela évoque pour vous ? Cela représente quoi à vos yeux d’être à la tête de cette édition?

Thibaud Rolland : Le fait d’être en charge, avec mon équipe, de la célébration des 50 ans du festival est un honneur et une grande responsabilité. La plupart des salariés ont d’ailleurs moins de 50 ans ! 🙂

Quand je regarde la short list d’artistes passés à NJP que j’ai dû dresser pour compléter le chapitre « playlist » de notre livre des 50 ans (magnifique ouvrage !) ou bien pour indiquer un line-up « legends all times » au dos des tee-shirts qu’on propose cette année, je me sens à la fois ému, et à la fois gourmand, dans le sens où un tel line-up attise l’épicurien que je suis, comme si nous étions autour d’une table à laquelle serait attablées réunies toutes ces légendes.

Pour fêter ces 50 ans, Il faut réussir à surprendre, à inventer des événements et objets exceptionnels (comme l’expo, le livre, le documentaire, la bière etc…) tout en racontant l’histoire sans tomber dans une ligne qui serait trop passéiste. Il faut pouvoir célébrer l’histoire tout en gardant l’esprit du festival défricheur, connecté à la scène actuelle. Donc j’ai imaginé une programmation artistique dans ce sens avec des artistes qui ont fait l’histoire de la musique (Thiéfaine, Marcus Miller, Sun Ra Arkestra, Capleton) tout en invitant des pépites (Hania Rani, Kamaal Williams, LYNKS, 79rs GANG, Billy Valentine, Immanuel Wilkins, Protoje….).

J’ai imaginé aussi fêter moult anniversaires à l’occasion de cette édition. Les 50 ans du Hip Hop déjà avec 2 soirées rap distinctes, celle avec MOS DEF et HYPNOTIC BRASS ENSEMBLE notamment et l’autre avec DISIZ, MERYL, PRINCE WALLY, NeS… L’envie de célébrer les anniversaires de certains labels que je trouve prestigieux : les 15 ans de Gondwana Records avec Hania Rani et Vega Trails, ceux de Heavenly Sweetness avec Guts et David Walters, les 20 ans du premier album de Emilie Simon, les 20 ans de Ed Banger, les 50 ans de l’album de MAGMA…). Et donner aussi quelques cartes blanche comme par exemple à LAURA CAHEN qui invite de très jolis noms à ses côtés (Juni, Blumi, PI JA MA, Léonie Pernet, Coline Rio…) pour une soirée à Poirel ou encore à Kasbah et Nowadays à l’occasion de la soirée Musique de Fête à l’autre canal (Acid Arab, Kokoko!, Twerkistan, Gondi, Leila Koumiya etc.).

Hodbert Florian