NEKTAR

Remember The Future Boxset

Esoteric Recordings

Esoteric Recordings a eu l’excellente idée de publier un joli coffret autour de l’album « Remember The Future », avec le disque original et un double live inédit. C’est l’occasion de remettre en avant ce groupe largement méconnu, qui sut allier heavy-rock psychédélique et musique progressive.

On ne sait pas trop qualifier l’origine de Nektar. Groupe allemand ou anglais, le dilemme est là. Fondé à Hambourg en 1969, il est constitué de quatre anglais expatriés : Roye Albrighton à la guitare et au chant, Allan « Taff » Freeman aux claviers, Derek « Mo » Moore à la basse et Ron Howden à la batterie. Le quatuor faisant ses débuts dans la frénésie krautrock psychédélique de la fin des années 1960 avec Can, Amon Duul, ou Neu, ils s’adjoignent les services de deux spécialistes des effets visuels, eux aussi britanniques : Mick Brockett et Keith Walters, qui seront considérés comme de véritables membres du groupe, en particulier Brockett, Walters préférant la discrétion.

Nektar, qui signifie tout simplement nectar en allemand, commence à tourner, d’abord en cachant les membres du groupe sous les effets visuels dans le but de faire de Nektar une formation sans visages, et donc sans stars. Finalement, le groupe retrouve une présentation scénique un peu plus classique, ressemblant au Pink Floyd des débuts avec Syd Barrett. Leur musique est cependant un peu plus rentre-dedans que le son acide d’époque. Ils sont signés sur le label allemand Bellaphon, qui publie leur premier album « Journey To The Centre Of The Eye » en 1971. C’est un album concept constitué d’un seul morceau de quarante minutes, qui raconte la rencontre d’un astronaute et des extraterrestres, inspiré en partie par le film « 2001, Odyssée De l’Espace » de Stanley Kubrick. Les civilisations s’entrechoquant et l’écologie seront les grandes marottes de Nektar tout au long de sa carrière.

Le groupe tourne beaucoup en Allemagne, en Europe du Nord et en Grande-Bretagne. Le second disque, « A Tab In The Ocean », revient à des structures de morceaux plus classiques. Certains titres commencent à faire vibrer une dimension proto-heavy, comme Crying In The Dark ou King Of Twilight, tous deux repris par Iron Maiden dans les années 1980. Contre toute attente, le disque accroche une inattendue 141ème place des ventes américaines. Nektar ne peut cependant faire quelques incursions US pour tâter le terrain, du fait du manque de moyens de son label, uniquement implanté en Allemagne, et dont les ventes se font en import vers le continent Nord-Américain.

La grande force du quatuor, ce sont ses performances scéniques, tant au niveau visuel que musical. Il comprend très vite l’intérêt, et décide d’enregistrer son nouvel album, double de surcroît, live en studio : « …Sounds Like This ». Le groupe a tellement de morceaux en stock qu’il est décidé de jouer en direct live aux Dierks studios devant quarante personnes tous les titres qu’ils n’ont pas encore enregistrés. Le tout sera capté sur bandes et publié tel quel. L’album est absolument saisissant de qualité de la première à la dernière note, avec quelques futurs classiques de scène au programme : 1-2-3-4, Do You Believe In Magic, A Day In The Life Of A Preacher. Ils alimenteront largement le futur live « Sunday Night At London Roundhouse » de 1974.

Nektar a trouvé sa formule entre heavy-rock et progressif. Il est capable de décocher un boogie comme What Ya Gonna Do ? et des pièces à tiroirs non dénués de quelques attaques heavy bien senties. Roye Albrighton est un guitariste très intéressant et inspiré, dont le jeu est entre le hard-blues de Rory Gallagher et le rock acide de Jerry Garcia, avec une touche de saturation garage venue du rock allemand. Contre toute attente, l’album ne se classe nulle part, mais permet à Nektar de reprendre la route, et de jouer encore et encore en Europe du Nord, et en Grande-Bretagne, ce dernier pays étant la grande cible, qu’il ratisse en compagnie de Frank Zappa ou Man.

Le travail peut sembler ingrat, car si Nektar tourne sans relâche, le succès commercial peine à venir. Les espoirs des ventes prometteuses de « A Tab In The Ocean » se sont évaporés avec le pourtant très fidèlement live « …Sounds Like This ». l’album a semé le doute dans les esprits des musiciens. Assemblé à partir de compositions écrites entre octobre 1972 et février 1973, le disque manque peut-être un peu de cohérence. Nektar décide de quitter les Dierks Studios à Pulheim-Stommein en Allemagne pour revenir à la maison en Grande-Bretagne. La formation a signé un contrat là-bas avec United Artists, qui lui permet de se développer en Europe et, faux espoir, aux USA.

Depuis le début de l’année 1973, Nektar teste deux nouveaux morceaux qui se construisent et s’allongent soir après soir : « Questions And Answers » et « Let It Grow ». Le public adore ces moments. Nektar est une sorte de Pink Floyd heavy dont les morceaux se déroulent comme des voyages sonores sans ruptures brutales, selon de subtils changements d’atmosphères. Et les deux nouveaux morceaux sont parfaitement dans cet esprit.

En août 1973, le groupe s’installe dans le petit studio campagnard de Chipping Norton, dans l’Oxfordshire, à l’Ouest de Londres. La formation assemble deux longues pièces connectées nommées « Remember The Future (Part 1) » et « Remember The Future (Part 2) ». Le groupe retrouve ainsi l’univers de l’album concept. Nektar y met du coeur, et sort son nouvel opus le 23 novembre 1973. Il ne se passe cependant pas grand-chose à sa sortie en termes de ventes anglaises, du moins pas plus que d’habitude. Seul le concert du 25 novembre 1974 devant une Roundhouse londonienne archi-pleine réconforte les musiciens. L’enregistrement servira de base au futur disque live. Néanmoins, Frank Zappa, qui a beaucoup apprécié ce qu’il a vu et entendu lorsque Nektar ouvrit pour lui quelques mois auparavant, envisage de les signer sur son label Discreet, sans issue concrète. Puis c’est carrément Atlantic et Warner, deux majors, qui sont intéressées pour signer Nektar aux USA. Cependant, rien n’arrive. En mars 1974, Nektar sort déjà un nouvel album nommé « Down To Earth », sur lequel le groupe a collaboré avec le parolier d’Hawkwind, Robert Calvert. Nektar est alors capable de produire des merveilles acides et telluriques comme Nelly The Elephant, qui est une vraie démonstration du talent épique et mélodique de Roye Albrighton.

Si les belles promesses se sont évaporées, Nektar finit par signer avec Passport Records, un label du New Jersey, pour une distribution américaine. La petite maison fait bien son travail. Elle publie une édition de « Remember The Future » aux USA, et le disque connaît un engouement radiophonique, notamment sur New York avec la station WNEW. Le disque finit par atteindre une étonnante 13ème place du Billboard US, 23ème au Canada, et même une 72ème en Australie, trois pays que n’ont jamais visité les Nektar.

Il est désormais temps de partir sur la route là-bas. La formation est étonnée par l’accueil enthousiaste du public américain, alors que Nektar joue en tête d’affiche dans de petites salles, pleines à chaque prestation. « Down To Earth » connaît à peu près le même sort à sa publication américaine : 32ème du Billboard US, 37ème au Canada, 93ème en Australie. Sur scène, Nektar réalise un assemblage de ses morceaux les plus percutants, rock et progressif : King Of Twilight, Desolation Valley, A Day In The Life Of Preacher, et bien sûr Remember The Future (Part 1).

Ce beau coffret offre le disque original remasterisé, une version superbement remixée à partir des bandes originales, et un double live capté le 28 janvier 1974 au Stadthalle de Muenster en Allemagne, et proposant un magnifique aperçu de Nektar en direct avec sa set-list d’époque mêlant de vieux classiques de « A Tab In The Ocean », « …Sounds Like This », « Remember The Future » et de nouvelles compositions qui alimenteront « Down To Earth » comme Fidgety Queen ou Little Boy. L’écoute de ces deux longues pièces est absolument passionnante, les titres évoluant avec finesse entre heavy-rock, musique psychédélique rêveuse et choeurs californiens. Magnifiquement documenté, ce coffret propose l’ultime version de cet album passionnant à l’étrange destinée.