L’inclassable Thierry Zaboitzeff était de retour à l’automne 2022 avec l’anthologie 50 ans de musique,
rétrospective épique d’une carrière hors du commun.
Le grand public tend à l’oublier mais au cœur des années 70, la France fut un haut lieu de la musique
progressive. Moins rayonnante que la légendaire scène britannique – portée par la richissime école de
Canterbury – le courant prog français se démarquait alors par un avant-gardisme poussé dans ses
retranchements les plus barrés. Avant-gardiste, le rock progressif l’était pourtant déjà bien assez : les
expérimentations sonores, hybridations et autres bizarreries étant l’essence même de ce mouvement.
Ange, Triangle ou encore Gong regardèrent ainsi droit dans les yeux King Crimson, Jethro Tull et
autres Genesis – groupe qui par ailleurs rencontrera à ses débuts un succès plus important en France et
en Belgique que dans leur Angleterre natale. Néanmoins, une formation se chargera d’envoyer plus
que toutes les autres le prog français dans le cosmos. Ce groupe, c’est bien évidemment Magma.
La mythique formation fondée par Christian Vander – que d’aucuns considèrent comme le plus grand
batteur de tous les temps – a embrassé les principes du genre avant tant de véhémence et d’intensité
que même l’étiquette “progressive” leur apparaissait trop étroite. Ils inventèrent ainsi un genre, le
zeuhl, considéré comme “multidirectionnel et spirituel” plus encore que musical, mais aussi carrément
un dialecte : le kobaïen. Un certain nombre de groupes vont alors explorer les chambres magmatiques
creusées par la bande à Vander et, pour certains, forer jusque dans les calderas les plus reculées de
cette musique d’un genre nouveau. C’est parmi ces fou dingues du son que l’on retrouve les nordistes
d’Art Zoyd.
Fondé en 1969 par Gérard Hourbette, Rocco Fernandez et évidemment Thierry Zaboitzeff, Art Zoyd
n’était au départ qu’une formation hard rock comme il en existait à l’époque tant d’autres. C’est sous
l’impulsion du dernier nommé que le groupe va progressivement faire évoluer sa musique et
abandonner l’instrumentarium traditionnel du rock, délaissant guitares et batteries au profit du piano
et des violoncelles. C’est dans cette démarche néo-classique qu’Art Zoyd sort en 1976 Symphonie
pour le jour où brûleront les cités, premier album d’une discographie labyrinthique et en constante
évolution. Ils deviendront dès lors les chantres de l’un des mouvements les plus radicaux du prog, le
rock in opposition qui, comme son nom l’indique, s’oppose inconditionnellement au format
radiophonique et plus généralement, aux diktats de l’industrie musicale.
Durant les années 80, Art Zoyd s’éloignera progressivement de ses racines néo-prog pour diriger sa
musique vers un style plus synthétique, considérant l’arrivée du fameux Yamaha DX7 et des samples
comme l’opportunité de repousser plus loin encore les frontières du son. En parallèle, Zaboitzeff se
lance à l’époque en solitaire avec la sortie en 84 de Prométhée, là encore le début d’un catalogue
parmi les plus prolifiques de l’Hexagone – et qui le verra parfois sortir plusieurs disques par an.
L’histoire de Thierry Zaboitzeff, c’est celle de cinquante ans de pure création musicale
malheureusement méconnue du commun des mortels, auquel le monsieur n’appartient probablement
pas. Là se situe la malédiction des authentiques visionnaires et des pionniers véritables : être
condamné aux oubliettes de la mémoire collective des générations futures et aux quolibets de leurs
contemporains car, comme le veut la célèbre formule de Jonathan Swift : “quand un vrai génie
apparaît en ce monde, on peut le reconnaître à ce signe que les imbéciles sont tous ligués contre lui.”
Kevin Letalleur