Performeur hors-pair à la voix chargée d’émotion, Manu Lanvin est aujourd’hui devenu LE Bluesman français de référence après avoir traîné ses guêtres et sa guitare sur les scènes d’ici et d’ailleurs… et jusqu’au Mississipi. À l’occasion de la sortie de l’album hommage à Calvin Russell qu’il a imaginé comme une grande réunion de musiciens et de copains, il est revenu pour Best sur ses débuts, son enfance et son parcours.
Comment t’es venue l’envie de faire de la musique ?
Mes parents écoutaient beaucoup de musique quand j’étais gamin. Ma mère était chanteuse, elle a été disque d’or dans les années 70, avec un album disco qui s’appelait « Do it for me » qui avait cartonné en France et en Italie et tout petit je trainais dans les studios d’enregistrement avec Pierre Clavenad, son directeur artistique. C’est lui qui m’a initié à la guitare et aux guitares de collection, c’était un super guitariste, vraiment passionné. Les studios Pathé Marconi étaient LE studio de référence de l’époque où les Stones et les Who avaient enregistré… et moi à 5 ans j’étais là-dedans et j’avais le droit de toucher à tout, même à la console… J’étais en contact avec tous les instruments qui étaient là et c’est ça qui m’a filé le virus. Je m’endormais sur la banquette pendant que ma mère enregistrait le soir… J’ai été trainé dans beaucoup de concerts aussi… Corinne Mariano, la bassiste de Téléphone était une amie très proche de ma mère, alors elle m’emmenait en concert backstage avec le groupe. Je me disais « c’est ça que je veux faire, avoir une bande de copains comme Téléphone et jouer de la musique ensemble, faire des concerts et des tournées », ça me faisait rêver. Moi aussi je voulais casser ma batterie ou ma guitare à la fin du concert. Quel beau métier de donner autant d’amour et d’en recevoir autant du public…
À quel âge as-tu commencé à jouer ?
J’ai commencé par la batterie à 10 ans mais la batterie faisait trop de bruit, ça cassait la tête à mes parents hahaha… alors mon père m’a proposé de prendre plutôt la guitare acoustique qui était dans le salon. C’était la guitare du film « Marche à l’ombre » dans lequel mon père avait joué (le comédien Gérard Lanvin pour les non-initiés) et que le producteur du film Christian Fechner lui avait donné à la fin du tournage. Je me suis dit ok, pourquoi pas… la guitare je pourrai en jouer partout, c’est convivial je vais tenter… et la guitare est devenue une extension de moi ! J’avais 13 ans, j’ai monté un groupe avec des copains, on faisait des reprises des Stones, des Beatles, de Hendrix. C’était l’époque des débuts de Lenny Kravitz et ça m’a donné l’élan pour jouer. La première fois que je suis monté sur scène, je me suis senti à ma place et protégé alors que j’étais hyper timide à la base. Le public a vu un groupe de gamins sur scène… c’était pas dingue ahaha mais nous on s’éclatait.
Qu’est-ce qui t’a amené au Blues ?
Les anciens comme Paul Personne me disaient que pour jouer de la guitare il fallait connaître ses classiques, alors j’ai écouté en boucle les grands guitaristes des 70’s, Jimmy Page, Clapton, Hendrix, Jeff Beck ou Johnny Winter… Je me suis plongé dans les recherches et je me suis rendu compte qu’eux-mêmes s’inspiraient des artistes du Delta, ces grandes figures du Blues comme B.B. King, Muddy Waters, John Lee Hooker… et cette musique est devenue très vite un mode d’expression pour moi. J’aimais la transe que provoque le Blues… quelques accords joués en boucle, ça peut durer des heures et tu chantes là-dessus tes joies et tes peines… et tout ce que tu veux raconter.
L’aventure professionnelle a commencé quand pour toi ?
Un peu tard en fait, on était parti habiter à la Baule avec mes parents… c’était moins rock que Paris mais je tournais quand-même avec des musiciens plus âgés que moi dans tous les bars de Bretagne qui voulaient bien nous accueillir. Je vivais ma jeune carrière de musicien encore mineur comme ça en sortant du lycée… J’étais bien décidé à vivre de la musique plutôt que de faire de grandes études donc je suis retourné à Paris et c’est là qu’a commencé un long chemin de croix. Je me suis fait jeter de toutes les maisons de disques pendant assez longtemps… mon premier contrat c’était en 2000 j’avais déjà 27 ans. J’ai dû faire des boulots à côté pour vivre : j’ai vendu des chaussures américaines, j’ai été barman au Moloko ou au Follies Pigalle, j’ai vendu des boissons énergisantes dans les clubs… c’était la galère ! Il me manquait tout de même un truc en matière de Blues et c’est venu avec Calvin Russell… quand je l’ai rencontré et qu’on a travaillé ensemble ça m’a apporté quelque chose en plus, appelle-ça de la confiance ou de la légitimité d’être reconnu par cet artiste immense, mais j’ai franchi un cap ! Calvin m’a décomplexé de faire du Blues quand les maisons de disque n’en voulaient pas. Et puis il y a eu la séparation avec la mère de ma fille, c’était dur émotionnellement et dans les mois qui ont suivi, ma voix a changé et elle est devenue plus rauque. Comme si la douleur de cette rupture m’avait marqué jusque dans mes cordes vocales. C’était le début du Devil Blues. Mes concerts dans les bars se sont transformés en tournée des salles, puis des festivals… et le succès est arrivé !
Tu as un meilleur souvenir de scène dans tous ces concerts que tu as donné ?
Le Apollo Theater à New York restera toujours un souvenir à part… J’étais invité par Quincy Jones qui m’avait repéré lors d’un festival à Montreux… Je suis rentré sur scène avec Herbie Hancock au piano, j’ai joué « Rock Me Baby » accompagné par Steve Jordan aujourd’hui batteur des Stones, Bruce Willis à l’harmonica… j’avais une équipe de tueurs et je me sentais totalement illégitime au milieu de ces grands noms qui m’ont accueilli avec beaucoup de bienveillance et de simplicité… On m’a fait tellement de mal en France, ça a été tellement compliqué de percer que me retrouver là-bas, accepté et reconnu… c’est un souvenir inoubliable. Une histoire trop heureuse et évidente pour un jeune artiste n’est pas un cadeau, il faut lutter pour gagner sa place… et j’ai gagné la mienne ! Quand je suis sur scène je me sens chargé d’électricité, je transmets de l’émotion, de l’énergie. Si j’arrive pendant un live à apporter de la joie et à faire oublier aux personnes du public leurs problèmes, j’ai tout gagné. À chaque fois je monte sur scène j’ai besoin de me souvenir de tout le chemin parcouru et de me dire que je ne suis pas arrivé là par hasard…
Tu es allé aux origines du Blues, dans le fameux Delta ?
Oui, je suis allé dans le Mississipi en 2011 après la mort de Calvin Russell pour jouer avec les vieux briscards du Blues, dans un champ de coton, un truc tenu par un mec qui s’appellait Po, le Po’ Monkeys. C’était un petit bar au milieu de nulle part, une cabane en bois dans laquelle les joueurs de Blues venaient se produire depuis les années soixante… c’était sur la Route du blues (l’US 61, qui relie le Minnesota à la Nouvelle-Orléans) j’y ai fait des rencontres magnifiques et je suis rentré chargé d’une énergie nouvelle. Le matin j’allais courir et la rythmique de mes baskets sur les cailloux, la chaleur du soleil, j’imaginais la dureté de la vie des gens. Il m’est arrivé des trucs de dingue là-bas, comme de retrouver la réplique exacte du doudou que j’avais enfant accroché au plafond en déco chez Po’ Monkeys… c’était comme un signe que j’étais chez moi, à ma place. J’en ai ramené beaucoup d’inspiration musicale et des souvenirs que j’ai tatoué sur mes bras pour ne jamais les oublier.
Raconte-moi l’histoire de l’album-hommage à Calvin Russell que tu viens de sortir…
J’ai écrit et produit le dernier album de Calvin Russell, « Dawg Eat Dawg » il y a quelques années, et cette collaboration a marqué un tournant dans nos vies. Lui pensait arrêter la musique, moi j’étais à la recherche d’un nouveau souffle. On a fait une tournée ensemble qui ne désemplissait pas, c’était un grand succès. Mais il avait des problèmes de santé et il est rentré au Texas pour ne jamais revenir… À sa disparition personne ne lui a rendu hommage vraiment sur scène et moi j’étais frustré de son départ et de la fin brutale de notre collaboration, alors je me suis concentré sur mes projets personnels. 10 ans plus tard on me demande d’organiser un concert hommage à Calvin Russell… et là j’étais prêt. J’ai invité plein d’artistes à me rejoindre sur scène. C’était une soirée extrêmement émotionnelle et ça m’a donné envie de faire de cet hommage un album entouré de ceux qui le connaissaient, comme Popa Chubby, Hugh Coltman ou Beverly Jo Scott mais aussi avec de jeunes artistes qui ne le connaissaient pas mais qui seraient inspirés par lui. Ce serait la transmission de sa musique et de son univers à de nouvelles générations d’artistes. C’était la concrétisation de quelque chose qui était là depuis longtemps. J’aurais pu tout faire seul sur scène mais j’ai voulu inviter des musiciens, m’entourer de personnes qui allaient réinterpréter sa musique, des femmes aussi qui viendraient avec leur version à elles, leur émotion… et ils ont répondu présents ! Il y a Johnny Gallagher, Charlélie Couture, Axel Bauer, Craig Walker et bien d’autres comme mon père aussi… Je voulais rendre hommage à mon pote, un hommage partagé avec des amis et des musiciens que j’apprécie. Et c’est réussi. Il aurait apprécié voir tout ce joli monde chanter ses chansons.
Merci pour ce voyage à travers les années Manu, et au plaisir de te revoir sur scène !
Merci à toi de m’avoir fait me replonger dans les souvenirs !
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Interview Caro @Zi.only.Caro pour Best
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L’album Tribute to Calvin Russell est déjà disponible !
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