INDAL + GRAND CRU + SPACE ALLIGATORS + Barnabé Mons DJ set + Pierre Galfie avec Apocalypse Notes, vu par Paul Wronka en semi fiction, avec les photos de Heliuna.
Lumière… « Aïe ! »
Je tâte la surface sur laquelle je me réveille. « Ouf… Du tissu… Un matelas ! ». Toujours à tâtons je cherche mon téléphone pour déterminer à quelle heure du jour associer cette luminosité qui me ponce l’arrière des rétines.
Mais déjà les effluves mentaux de la veille me reviennent. « La soirée BEST à Lille… » ça y est ça se reconstruit comme un lego en stop motion. Faut dire que j’ai vécu un moment peu commun.
On m’a donné rendez-vous dans un quartier appelé le Vieux-Lille. « Tiens donc, je pensais que la ville avait été rasée pendant une grande guerre… » Et là manifestement il reste des vieilles pierres. C’est beau, un peu trop classe pour ma tenue même… ça ne sent pas la misère clichée habituelle de la région.
J’arrive devant le « 11éphémère » pour la soirée de lancement de Best N°3… Concernant les vieilles bâtisses classieuses du quartier, c’est raté. J’ai plutôt l’impression que je vais rentrer dans le siège désaffecté de la COGIP.
Et effectivement, il y a eu de la sueur tertiaire et des conversations de machines à café sur ces linoléums, ça se sent. Mais ici personne ne me racontera ses vacances en timeshare au Pierre et Vacances de Lacanau… Non ici la culture a repris ses droits, fait sauter les dalles de faux plafond pour y faire passer de la musique dans les fils plutôt que de la lumière de néon fripée.
Ici on expose des peintures et des affiches à la place des messages de prévention pour la sécurité au travail… Manifestement c’est « Casual Friday » tous les jours, voire même « Brûlons le normcore toute la semaine ». La musique est bonne et encore non identifiée.
Et Best, justement, la musique, ils connaissent et ça commence déjà. C’est presque dommage parce que la faune du bar a l’air accueillante et bigarrée. Il parait que c’est une maladie du nord, l’accueil… Le diagnostic est confirmé. Mais d’abord, je veux me remplir les oreilles.
Une voix m’attire. Le premier groupe de la soirée s’appelle Indal. Le batteur est en set minimaliste avec cajon et darbuka mais il sait taper. Ça complète l’arrangement du claviériste pas manchot. Et puis la voix d’un troisième et central protagoniste se fait entendre. Certes il a une guitare acoustique dans les mains mais on est immédiatement happé par sa voix. La langue anglaise est maîtrisée avec un accent plutôt d’Oklahoma que d’une région d’Albion qui se fini en « Shire ». C’est à la fois très contenu mais définitivement puissant et rocailleux. Dur de ne pas penser à Eddie Vedder, Gomez ou Tom J Newell dans son mythique et introuvable Carol-Anne Showband (avant qu’il ne devienne le graphiste le plus en vue de Sheffield). Les chansons passent vite et c’est bon signe. Le trio nous emmène loin et large. Et on se dit que définitivement ce chanteur a du gravier dans la gorge qui lui fait pourtant glisser pas mal de soul, de pop et de rock (justement) en même temps.
Premier set, première rencontre. Je suis tellement enthousiasmé par ce que je viens d’entendre que j’en ai oublié ma « soif »… Heureusement la voix de Bukowski raisonne dans ma tête et me rappelle Comment devenir un grand écrivain et qu’il faut donc ‘’boire un maximum de bière’’. « Bon… méfiance » me préviens-je. « La bière a ici aussi bonne réputation que l’alco…euh… que l’accueil ! »
La carte du bar est sobre mais va à l’essentiel. Je m’apprête à prendre la bière locale (On ne va pas en Italie sans manger une pizza ou à Londres sans cracher sur un punk, merde !) quand soudain un personnage aux larges épaules et cheveux tombant dessus, au pelage de léopard (qui s’avèrera être une chemise en fait) et lunettes de soleil sur le front m’interpelle : « Qu’est-ce que tu bois ? » « Euh… Une bière… ? » réponds-je un peu surpris, voir méfiant… Et lui de dire au barman « Trois bières, un cidre pour la demoiselle, mais d’abord monsieur va boire un rhum avec nous. ». Ma première boisson de cette soirée lilloise sera donc… Un rhum. L’une des bières est pour moi également. « Diable, me dis-je, quel est ce pays merveilleux où je n’ai pas à payer pour mon breuvage ? ». Je remercie mon hôte et je salue ses deux acolytes. La « demoiselle au cidre » a une jupe punk, un carré de cheveux blonds et un anneau à l’arcade qui m’indiquent « Rock’n’Roll ». Le troisième membre de ce trio est grand, blond également et porte une chemise hawaïenne qui m’indique… euh… « Vacances ?! ». J’essaie d’entamer la discussion mais déjà mon hôte fait signe aux deux autres qu’ils doivent y aller et me saluent.
Ils ont l’air de bien se connaître et pour cause, ce trio s’installe sur la scène en damier pour jouer. La grande chemise hawaïenne derrière la batterie, la jupe punk à la basse d’où pendouille des faisceaux d’argent comme les bandes d’une cassette audio qu’on aurait jamais réussi à rembobiner et le léopard se saisi d’une Rickenbacker bleue. Mes premiers potes de bar de cette soirée lilloise sont donc le trio Grand Cru.
Après le premier groupe en set acoustique, j’avais implicitement compris que les bureaux de la COGIP, installés dans ce beau quartier, devaient respecter un volume sonore mesuré. Grand Cru m’a vite fait comprendre que je me trompais. La guitare du léopard et la basse de la jupe s’accordent et s’appuient sur la grande chemise hawaïenne qui cogne fort, mais précis, harmonieux et complexe. J’ai la tête qui commence à subir le rhum et la craftbeer locale. Au début c’est un peu le magma rock fort. La jupe et le léopard chantent en lead, en duo ou en chœur des titres en français hyper efficaces ; même la grande chemise hawaïenne donne de la voix. Belle rentabilité scénique ! On va d’une « trace de coke » vers de la « Télépanique » en passant par une appli magique appelée « Tindead Love ». Je sens pourtant la frustration au sein du trio (qui doit vraiiiiiment bien se connaître pour se « lire » aussi bien sans se parler). Et plus le concert avance plus leur camisole craque (l’humidité du rhum peut-être…) et sans que je m’en aperçoive, c’est déjà fini. Les gens autour ont l’air aussi joyeux et hagards que moi après cette leçon d’énergie et de brutalité fairplay. Comme si on se disait tous du regard « On vient de vivre un truc pas habituel là… Non ?! »
Un peu étourdi je retourne explorer un des étages du 11éphémère. J’arrive dans l’ancien bureau de Michel, le comptable de la COGIP. La moquette y est douce et la vue dégueulasse (des toits en zinc… En fait ça va encore). Mais Michel devait aimer les fenêtres, ce qui fait naturellement de l’endroit le fumoir du lieu. J’y rencontre un des moteurs du projet éphémère, Caf. Il n’en est pas à son coup d’essai parce qu’il a œuvré longtemps dans un lieu my(s)thique de Lille, La Malterie. J’ai déjà entendu parler de la classe de l’endroit où opèrent des artistes dans des cellules où matûrait originellement le houblon. Caf m’explique que le 11Ephémère fermera ses portes fin octobre (après une prog longue comme le bras de mon oncle). Par contre l’asso va perdurer et chercher des lieux du même genre à investir. J’appellerai ça « La Culture Volante » ! Comme une graine d’arbre à papillon qui décide de pousser en haut d’un clocher. Quand des hommes en uniforme se décident enfin à l’en déloger, le végétal a eu le temps de faire ses fleurs et d’égrainer encore son génome. Décidément Best fait bien les choses, Il a trouvé « Da Place To Be »
Houlà mon esprit divague et la soirée n’est pas terminée. « Aïe ! Je ne titube pas… Mais ça bouge » D’ailleurs l’ordre du reste est f(l)ou…
Le Léopard vient me tirer par le col pour me remplir la consigne « Euh… Merci ! » dis-je encore. On regarde une projection d’un court-métrage. Apocalypse Notes de Pierre Galfie. Une dystopie qui imagine la fin de la musique car toutes les mélodies ont été composées ; le tout raconté dans un cadre intimiste. A priori je n’étais pas d’accord sur le postulat mais le tout défendait si bien les musiciens et leur pillage par les grosses plateformes que j’ai adhéré à la qualité du bousin. « Ouais salaud de GAFAM …! » Commence-je à vouloir crier mais le dernier concert est en place.
Space Aligators. J’avais vu le nom sur le programme et je m’attendais à des orgues Moog avec des gars fringués en cosmonautes à écailles… Encore raté ! Ils sont effectivement vestimentairement raccords, ce sera le jean sous toutes ses coutures. Autant Grand Cru avait été le « Detroit Too Drunk To Fuck » moment de la soirée, autant le « Feel Good Set » était assuré par le groupe en présence. Des belles gueules. Ça sautille. Le batteur a manifestement compris ce que Isaac Hayes a essayé de faire avec sa Charley dans Shaft (« I thought about a cat walking »). Pas de concours de pénis entre les membres ici. C’est la rythmique de la main droite et les harmonies de voix qui font la magie. Pas de son de l’espace mais une bulle pop funky dansante bien enthousiasmante qui me rappelle le Tahiti 80 des débuts. J’ai une sorte de chance ce soir car c’est l’adieu du groupe à l’un des siens. Comme si le public et moi n’étions pas là, ils se livrent, quasi-à-nu, à un moment de plaisir onanique qu’on a simplement la chance de partager, mais c’est OK car consentement de tous il y a. J’ai l’impression d’être le privilégié qui assiste à une répèt’ de son groupe de potes qui va devenir un « Phoenix » (« Pun intended » comme on dit outre-manche, car le combo n’est pas sans rappeler les plus anglais des versaillais…). Le lead chanteur saute de la batterie au public et ne rate pas une « rhyme ». En plus je vois ça d’un balcon et constate que le sol en échiquier devient plus qu’un hasard, tant on sent une stratégie rodée et pourtant spontanée entre le groupe qui acène ses attaques bien écrites. Les Space Alligators ont déjà leur petite commu qui consent à perdre (ou gagner ?!) la partie en chantant les paroles en même temps que le quintet. Je range le nom au chaud pour réécouter ça vite !
La suite de la soirée a peine à se reconstruire autrement que par flashs. Des discussions passionnantes, des rires. Des gens sympas qui me traitent en amis de longue date… Je me laisse embrouiller par la canne à sucre et le houblon mais voilà que j’entends un bonbon…
Jumpin’ Jack Flash ! Mais ceux ne sont pas les Stones… C’est un sitar virtuose qui chante Jagger et soloïse Richards. Un flash dans le flash… J’ai 17 ans, je suis désœuvré (pour de nombreuses années) et je viens de voler un disque à la FNAC. Une pochette jaune avec un texte poétique anglais sur le mélange de l’ « eastern » et de la « western music », une photo d’un magnifique instrument indien et un nom en grand, Ananda Shankar. A cet âge-là, la tentation était trop forte et la bourse trop vide pour résister. Je me revois en train de danser, après mon larcin, dans une chambre de bonne sur le premier titre du disque produit par deux mecs des Electric Prunes. Je danse comme un débile en oubliant que je n’ai aucun avenir.
Je ressors du flash et je cherche d’où vient la musique. Je vois un deck de DJ sur lequel tourne le 45 tour original de 1970 (pas la réédition qui m’avait donné des fourmis dans les membres et une poussée d’adrénaline en passant le portail de sécurité…) « Ouh là… C’est un ‘’connoisseur’’ aux platines ! » me dis-je. Et pour cause, l’érudit qui DJette, c’est Barnabé Mons ! J’ai eu la chance de jouer avec son groupe Sheetah et les Weissmullers (dans une autre vie où je jouais dans un groupe qui s’appelait Les Meatles). Je suis ravi de retrouver l’homme qui est également derrière la compil WiZZZ vol.4 sur Born Bad. Il enchaîne des perles qui font danser. Et pas l’ombre d’un autotune dans la voix des chanteur.se.s sélectionné.e.s !
Le point final d’une soirée qui a un peu tangué à la fin… mais toujours en rythme et en bonne humeur ! Je me dis que si Best est capable de monter une soirée si éclectique, Rock et intelligente… Alors j’ai hâte de me plonger dans leur prochain Mook qui parle de tout ce beau monde.
La mémoire de la soirée s’émancipe… J’ai le souven(r)ire bien présent dans la tête, accompagné de notes, de chœurs, d’images, d’ « applause » de bonnes gens satisfaits et repus de bon son et d’images saillantes.
Je suis tiré de ma rêverie de réveil par le bruit d’une personne qui prends soin d’elle dans un bruit de salle de bain… Je fais enfin le point sur l’image qui m’entoure… Je suis dans de très beaux draps… Mais ceux ne sont pas les miens.
Paul Wronka
Merci à l’équipe du 11 Ephémère
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