Dans un univers sonore en constante mutation, Guillaume Poncelet explore de nouvelles voies musicales. Le piano droit a été le point de départ de ses premières compositions. Depuis son enfance, il passait de nombreuses heures à expérimenter, à rechercher et à fusionner des textures sonores.

De nos jours, il les capture en utilisant une sourdine, une fine bande de feutrine qui invite le piano à chuchoter doucement. En collaborant avec un éventail d’artistes divers, il s’aventure en solo, au piano, dans l’univers de la musique néo-classique minimaliste aux subtilités profondes. En tant qu’instrumentiste de haute volée, compositeur et arrangeur, Guillaume Poncelet a tracé un parcours musical exigeant et ponctué de réalisations mémorables depuis les débuts des années 2000.

Il refuse de se cantonner à un seul style musical, préférant les entrelacer, comme le montrent ses nombreuses collaborations en studio et sur scène. Parallèlement, il cultive son œuvre en solo, amorcée avec « 88 », son premier album enregistré exclusivement au piano droit. À travers une musique volontairement minimaliste, profondément ancrée dans la modernité, il fait résonner une sensibilité riche et subtile, héritée des grands compositeurs européens tels que Maurice Ravel, Gustav Mahler ou Philip Glass.

Pourquoi avez-vous eu envie de réaliser cet album ?
J’ai longtemps collaboré avec d’autres artistes, orchestres, chanteurs ou instrumentistes, je suis très attaché à l’idée de création collective, mais j’ai aussi depuis l’enfance cette musique en moi que j’aborde comme certains tiennent un journal intime. Lorsque je m’assieds seul au piano et que je la joue, je peux l’exprimer directement, c’est libératoire.

Il semble que vous ayez travaillé le son de manière très particulière. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Pour cet album j’ai utilisé un piano droit, en ayant presque toujours la pédale de sourdine enclenchée. On obtient ainsi un son beaucoup plus doux et délicat, on a l’impression que le piano chuchote, c’est le son que j’aime. On entend tous les détails, les petits bruits mécaniques, même les doigts qui se posent sur les touches, il me semble que ça donne de la vie, du relief, et un caractère intimiste à cette musique. J’ai également eu la volonté, sur Durango, d’intégrer des sonorités électroniques à mes compositions. Louxor, un artiste que j’admire beaucoup et avec qui j’aime collaborer depuis plusieurs années, m’a aidé à habiller quelques titres, pour les ancrer davantage dans le paysage musical actuel, l’idée était de conserver le caractère intemporel de mon approche globale tout en ajoutant une petite discrète touche de modernité.

À l’heure où la musique semble pouvoir être générée par ordinateur, pensez-vous qu’il soit salutaire de revenir à un dialogue épuré avec votre piano ?
J’ai choisi de mettre le piano droit, fait de bois et de métal, au centre de ce projet car c’est l’instrument de mon enfance, celui qui me procure les émotions les plus fortes, qui me connecte à mes toutes premières envies de créer de la musique. J’aime partir d’une page blanche et commencer à chercher en jouant. Je ne pense pas cependant que cette approche soit plus noble qu’une autre. Tant que l’artiste est sincère, engagé et passionné, j’écoute avec plaisir. L’ordinateur est un outil comme un autre, ce qui compte, c’est ce qu’on en fait.

Avez-vous des inquiétudes concernant cette évolution de la musique ?
Je pense, peut-être naïvement, que la musique créée par les humains n’est pas mise en danger par l’arrivée de nouveaux outils. Tout le monde utilise un ordinateur aujourd’hui dans le milieu musical, or il y a 40 ans beaucoup de personnes réfractaires pensaient que c’était la mort de la « vraie » musique. Les logiciels de notation musicale, d’enregistrement, de production ont révolutionné notre manière de travailler tant ils nous offrent la possibilité de gagner du temps, de produire et diffuser de la musique à moindre coût, sans pour autant compromettre la qualité de notre travail. La musique générée par intelligence artificielle ne met pas en danger les compositeurs à mon avis. Elle sera de plus en plus utilisée pour des documentaires, des reportages, des vidéos d’influenceurs, etc, en réalité des musiques de moindre importance que personnes n’écoute réellement. Concernant l’état des productions musicales actuelles, on peut en effet constater une certaine forme d’uniformisation de la création, un appauvrissement harmonique et de plus en plus une standardisation de la forme. Par exemple, Purple Rain de Prince a été un tube mondial, rares sont les artistes actuels qui sortent des morceaux de 8 minutes, quelle radio ou chaine de télévision les diffuseraient ? Il faut vendre de la pub, donc qui dit morceaux longs dit moins de pub. Le streaming, qui fonctionne différemment, pousse probablement l’industrie musicale à changer de paradigme, mais ça prend du temps. Les génies sont toujours là cela dit, et ce sont ceux qu’on retiendra, comme ç’a toujours été le cas dans l’histoire de l’art.

Vous collaborez avec Ben Mazué et Gaël Faye, et probablement d’autres artistes. Est-ce que cet album répond à une envie ou à un besoin en lien avec ces collaborations ?
J’admire Ben et Gaël, je les aime profondément. Travailler avec eux c’est pour moi l’assurance de toujours chercher de nouvelles façons de faire des chansons, ils ont cette saine obsession du renouveau. Fabien (Grand Corps Malade), avec qui j’ai travaillé cet été, c’est la même chose, il est toujours en mouvement, comme s’il cultivait constamment un besoin de relever de nouveaux défis. C’est très inspirant. C’est grâce à des artistes comme eux que j’ai finalement eu le courage de diffuser cette musique que j’écris dans mon coin depuis longtemps. Sans eux, je n’aurais jamais vaincu ma timidité.

Un petit mot pour la fin ?
Je tiens à vous remercier pour la qualité de vos questions. J’ai hâte de retrouver la scène, j’ai quelques concerts dans les semaines à venir, et le 25 janvier je serai à La Cigale, à Paris. J’espère vous y voir !

Hodbert Florian