Sans eux, il n’y aurait pas eu de Metallica. Ce n’est même pas une appréciation de plumitif, mais une déclaration de la bouche même du batteur et fondateur des Four Horsemen Lars Ulrich. Alors que le guitariste et fondateur de Diamond Head, Brian Tatler, semble avoir jeté définitivement l’éponge de son groupe maudit pour se joindre à la légende du heavy-metal anglais Saxon, un petit coup de projecteur sur ce quatuor des faubourgs de Birmingham pourrait s’avérer instructif.

Car oui, c’est encore dans les faubourgs du coeur industriel du Nord de l’Angleterre que Diamond Head voit le jour, plus précisément à Stourbridge. Il s’agit plutôt d’un bon présage, puisque dans cette ville naquit Black Sabbath et Judas Priest. Nous sommes en 1976, Brian Tatler a seize ans, et suit une scolarité somme toute banale dans le lycée de la ville. Le hard-rock connaît sa pleine mesure avec les pionniers Black Sabbath, Led Zeppelin, Deep Purple, Status Quo bientôt rejoints par UFO, Thin Lizzy et un jeune quintette qui publie son second album, « Sad Wings Of Destiny » en 1976 : Judas Priest. Tatler est un fan de musique. Il joue de la guitare depuis le début de son adolescence, mais essentiellement pour lui. A seize ans, il aimerait bien fonder son groupe et jouer sur scène, franchissant ainsi un pas entre le hobby et la perspective de devenir un musicien sérieux. Un camarade de classe, Duncan Scott, le rejoint pour essayer de taper sur des caisses. Et le terme n’a jamais été aussi vrai, puisque le kit du batteur se résume à des bouts de batterie et des boîtes de biscuits en fer blanc.

Lors d’un long voyage scolaire en bus, Brian Tatler et Duncan Scott remarquent très rapidement un autre lycéen qui amuse le bus en reprenant de vieux standards de rock’n’roll a-capella. Il s’appelle Sean Harris, et devient vite le potentiel chanteur à pourchasser. Le jeune homme est très favorablement soutenu par sa mère qui voit en son fils un talent en devenir et l’encourage à faire de la musique. Les trois jeunes gens font connaissance, et partagent les mêmes goûts musicaux.

Une éruption sonore en préparation

Alors que le punk prend d’assaut les classements et les scènes des clubs d’une bonne partie du pays, essentiellement grâce aux Sex Pistols, Damned, Clash, et Stranglers, Tatler, Scott, et Harris portent toujours le cheveu long. Dans le Nord de l’Angleterre, le punk ne prend pas vraiment, hormis à Manchester, avec une petite scène très active autour des Buzzcocks et de Joy Division. Les ouvriers des charbonnages, de la sidérurgie et de l’automobile britannique restent des amateurs de riffs et de boogie énervé. Les punks sont des petits poseurs citadins, pas vraiment en phase avec le climat social lourd du secteur.

Dans la chambre de Brian Tatler, le petit trio cherche un nom. Quelques suggestions peu originales sortent : Cobra, Wolf… Et puis, alors que le jeune guitariste commence à avoir quelques idées de riffs assez alambiqués, l’idée du volcan arrive. Il a dans sa collection un album d’un guitariste qu’il aime beaucoup : Phil Manzanera. Ce dernier est la fine lame du groupe Roxy Music, et en 1974, il a sorti un album solo nommé « Diamond Head ». La pochette représente un train de marchandises américain, mais son nom s’inspire d’un volcan d’Hawaï. Tout le monde tombe d’accord, Diamond Head est né.

Le groupe tourne en trio avec Harris à la basse et au chant une bonne partie de l’année 1977, essentiellement dans des fêtes lycéennes et des maisons des élèves. L’impact du groupe est cependant réduit par le fait qu’Harris est entravé dans son jeu de scène par la nécessité de jouer de la basse. Un autre copain est finalement convaincu de se lancer à la basse : Colin Kimberley. La petite équipe part à l’assaut des scènes locales sans toutefois trop souffrir de la concurrence punk locale qui se retrouve en fait dans les mêmes difficultés. Loin de Londres, la débrouille est de mise.

1978 s’écoule, et Diamond Head continue d’apprendre à jouer. La formation réduit peu à peu son stock de reprises pour les remplacer par des compositions originales. Dead Reckoning, Am I Evil ?, Shoot Out The Lights et Streets Of Gold apparaissent dans leurs formes quasi-définitives. Si Diamond Head s’inspire de Judas Priest, Black Sabbath et Led Zeppelin, une myriade d’influences blues et progressives vient alimenter le son de plus en plus audacieux du quatuor : Rush, Queen, Peter Green’s Fleetwood Mac, Nektar, Focus, Free, Bad Company… Comment de telles influences peuvent-elles produire un son cohérent ? C’est justement le talent extraordinaire de Diamond Head. A peine âgé de dix-neuf ans, ils sont capables d’expédier des titres totalement originaux et d’une sonorité absolument nouvelle.

L’éclosion

1979 est une année charnière. La mère, de Sean Harris, Linda, s’occupe désormais des affaires du groupe, financées par le propriétaire d’une usine de cartons d’emballage qu’elle a réussi à convaincre, Muff Murfin, mais qui n’y connaît strictement rien en rock’n’roll. Elle réussit à obtenir l’aide d’un agent en concerts, qui permet de décrocher des premières parties de plus en plus prestigieuses. Cela commence au club Bogarts de Birmingham avec l’ouverture d’un Slade en déshérence pour atteindre la première partie de deux dates locales sur la tournée « Highway To Hell » d’AC/DC. La réputation de Diamond Head grandit, et permet notamment au groupe de jouer deux titres originaux en direct dans l’émission « Look Hear » du canal local BBC Midlands.

Finalement, Diamond Head finance l’enregistrement de trois titres pour une démo : Am I Evil ?, Shoot Out The Lights et Streets Of Gold. La cassette est envoyée à tout un tas de programmateurs locaux et nationaux. Elle finit sur le bureau de Geoff Barton, journaliste du magazine musical Sounds, et grand découvreur de la nouvelle vague du heavy-metal anglais à qui il va donner son nom mythique : New Wave Of British Heavy-Metal (NWOBHM). Il commença sa série d’article par un concert réunissant Samson, Angel Witch et Iron Maiden. Et il n’arrêtera plus, couvrant les débuts de Saxon, Def Leppard, Tygers Of Pan-Tang, Raven ou Venom. Grâce à lui, Diamond Head joue sur la date de Birmingham de la tournée « Metal For Muthas », du nom de la mythique compilation EMI de 1980, réunissant Iron Maiden et Angel Witch, en remplacement des glam-rockeux de Girl.

Parallèlement, Diamond Head et son management maison décide de financer et sortir ses propres disques sous le nom de Happy Face Records. Le premier simple sort le 22 mars 1980 : Shoot Out Of The Lights/Helpless. Il poursuit en fait l’esprit du Do It Yourself du punk, alors que les labels sont encore frileux à signer du heavy-metal. Cependant, les choses s’accélèrent avec la signature d’Iron Maiden et Angel Witch chez EMI, Tygers Of Pan-Tang chez MCA, Def Leppard chez Vertigo et Saxon chez Carrère.

Le simple est vendu aux concerts, et le pressage de mille exemplaires est rapidement épuisé. Le 9 août sort un second single avec Sweet & Innocent/Street Of Gold. Il part à la même vitesse. Il devient évident que le buzz autour de Diamond Head est en train de grandir grâce au soutien du journaliste Geoff Barton qui leur offre leur premier interview dans laquelle il relève la phrase quelque peu prétentieuse et irrévérencieuse : « Nous sommes les successeurs naturels de Led Zeppelin ». Si en 1980, le quartette de Jimmy Page n’est pas encore dissout mais semble à l’agonie sur une tournée européenne laborieuse, les mythiques albums de 1969 à 1976 restent dans les têtes en ce début de nouvelle décennie. Diamond Head n’a alors sorti que deux simples certes excellents mais pas suffisamment géniaux pour aller taquiner l’héritage musical de Led Zeppelin. Cependant, les groupes dont ils font la première partie, AC/DC et Iron Maiden en tête, sentent passer le vent du boulet. Diamond Head aura néanmoins tout le mal possible à se dépêtrer de ce mauvais coup de pub.

L’album blanc du heavy-metal

Les Diamond Head entrent en studio grâce au financement de Muff Murfin. Ils enregistrent en quasi-live un premier album composé de sept titres au Old Smythy Recording Studio de Worcester, produit par Reg Fellows. L’enregistrement et le mixage prendront en tout et pour tout sept jours.

Le « White Album » aussi appelé « Lightning To The Nations » prend vie le 3 octobre 1980. Il surgit après « On Through The Night » de Def Leppard, « Iron Maiden » d’Iron Maiden, « Wheels Of Steel » de Saxon, « Wild Cat » de Tygers Of Pan-Tang, et « Angel Witch » d’Angel Witch, tous parus depuis mars. Tous ont également connu le Top 20 voire le Top 10 britannique, à l’exception d’Angel Witch qui ne dispose que du soutien de son modeste label Bronze qui a déjà fort affaire avec Motörhead. Diamond Head est attendu car le groupe ne ménage pas sa peine depuis deux ans. Depuis le mois de janvier 1980, le quatuor assure entre dix et quinze concerts par mois. Il joue littéralement partout en Grande-Bretagne, jusqu’aux tréfonds de l’Ecosse. La formation dispose d’une importante base de fans dans le pays, aussi le premier pressage de mille exemplaires est vite écoulé. Si l’album, toujours paru sur leur propre label Happy Face, est doté d’une pochette blanche monochrome qui n’est pas sans rappeler celle du Double Blanc des Beatles, les exemplaires sont souvent customisés individuellement avec les autographes de un ou plusieurs des musiciens. La critique de Neil Jeffries dans le magazine Sounds est dithyrambique. Diamond Head a littéralement tout pour lui : le talent d’écriture et d’interprétation, la modernité et l’originalité.

Le « White Album » est repressé à deux-mille cinq cent exemplaires, avant que les bandes partent en Allemagne pour un pressage de trois-mille cinq cent exemplaires chez Woolfe au cours duquel les bandes disparaîtront, car oui, ils ont envoyé là-bas les masters originaux. Par ailleurs, le groupe ne touchera pas un centime dans l’affaire, seulement un exemplaire pressé en retour. Ainsi, le pressage américain de Metal Blade se fera sur des bandes de seconde génération destinée au pressage vinyle initial. Le label Sanctuary possédé par Iron Maiden tentera en 2001 de restaurer avec les technologies modernes le disque grâce au pressage original détenu par Lars Ulrich, avec quelques résultats positifs mais sans apporter davantage. Finalement, Brian Tatler remettra la main sur les bandes originales fin 2021 pour un nouveau pressage avec une nouvelle pochette en 2022, et cinq titres issus du mixage originel de 1980.

Presque quarante-cinq ans plus tard, « White Album » reste une véritable perle de heavy-metal. Même le premier album d’Iron Maiden semble un peu rustique à côté. La construction des titres, les chorus de guitare de Tatler, les nuances dans les arrangements, l’audace vocale d’Harris, tout cela contribue à rendre l’écoute de ces sept titres absolument fantastiques malgré ce fameux mixage manquant d’épaisseur, mais désormais rétabli en grande partie dans son ultime édition de 2022.

Si le groupe reste parfois un peu précaire techniquement, Tatler et les autres ont su retenir la leçon du punk : ils ont injecté de l’énergie plutôt que de la technicité laborieuse. Et le niveau est suffisamment solide pour proposer des titres à tiroirs, avec rythmiques à contre-courant des riffs, et des innovations, notamment dans la fusion étonnante entre agressivité, rapidité et mélodie. The Prince est à ce titre un excellent exemple. Sucking My Love est une odyssée musicale à la Rock Bottom de UFO ou No Quarter de Led Zeppelin, mais avec cette frénésie nouvelle. Une fois encore, on ne peut que rester pantois devant l’incroyable maîtrise de ces quatre jeunes gens de vingt ans qui ont réussi à offrir au monde pareille merveille sonore. Alors que dans la seconde partie des années 1970, des groupes de rock progressif confirmés, au niveau technique et au professionnalisme incontestables, s’embourbent dans des solos indigents et interminables au bout de cinq minutes, Diamond Head réussit à rendre palpitant une piste flirtant les dix minutes.

Sucking My Love aurait pu être l’acmé de ce premier album, mais il dispose encore de fantastiques cartouches en réserve. La première s’appelle Am I Evil ? et va devenir un mythe. Non parce qu’elle fut reprise par Metallica : ce sera le cas pour cinq des sept titres du « White Album ». Mais parce que sa construction en lente montée infernale, avec une première partie heavy, sabbathienne, suivie de sa coda speed avec un solo de guitare épique, va devenir un classique du Metal des années 1980-1990.

Am I Evil ? reprend la suite des Planètes de Gustav Holst dans son introduction, avant de culminer avec un solo de Tatler en forme de descente de manche à la Michael Schenker/Eddie Van Halen. Le riff heavy explose, avec sa rythmique poisseuse. Puis c’est l’ectasie totale : le groupe dévale en rang serré sur l’auditeur avec un chorus magique, une rythmique puissante et pleine de groove, et un chanteur lyrique.

Sweet And Innocent est un titre court, relecture du morceau paru en simple l’année précédente, et presque un peu terne par rapport au niveau général de l’album. En terme de titre court, It’s Electric est bien plus intéressant et audacieux. Brian Tatler va découvrir un concert d’AC/DC retransmis par la BBC dans l’émission Sight And Sound en 1977. Il y entend pour la première fois le morceau Problem Child. Le groupe australien va devenir une grande influence, et It’s Electric est très officiellement la quarante-cinquième composition de Diamond Head depuis sa création. Tatler note tout, et lorsque Diamond Head entre en studio, ils ont une base d’une centaine de morceaux. C’est une composition d’une efficacité redoutable, avec sa vitesse, ses uppercuts de guitare, et ses envolées épiques sur les refrains puis sur le solo magique de Tatler.

Helpless est à lui seul une véritable thèse. Morceau à tiroirs malicieux de presque sept minutes, il est une sorte de cathédrale de riffs imbriqués sur un tempo speed. Il n’y a aucun chorus, juste des accords rageurs et un duo batterie/basse trépidant. Ce sera le premier titre officiellement repris en 1987 par Metallica. Et pour cause : il est totalement précurseur du thrash-metal, mais dans sa composante technique. Metallica sera de cet ordre avec « Ride The Lightning », mais le meilleur héritier est Megadeth, avec l’ensemble de ses albums de 1985 à 1992.

L’espoir

L’album, aussi artisanal est-il, connaît un vrai succès commercial de nature à intéresser des labels internationaux. EMI et Phonogram se retirent pourtant rapidement, ayant déjà signé respectivement Iron Maiden et Def Leppard. Une piste se profile grâce à l’enthousiasme de Charlie Ayers qui travaillait auparavant pour A&M et a tenté de les faire venir chez ces derniers. Finalement, il est embauché par la major MCA, et les plans de Diamond Head tombent à nouveau à l’eau.

En janvier 1981, Diamond Head tourne en compagnie des canadiens d’April Wine, un groupe qui connaît un grand succès avec l’album « The Nature Of The Beast ». Dans la foulée, le quatuor décide de monter une grande tournée nationale dans les mêmes salles qu’avec April Wine pour l’été. A cet effet, le EP « Diamond Lights » sort en janvier 1981, toujours sur Happy Face, afin de financer la tournée. Ils embauchent des membres des Hell’s Angels de Wolverhampton pour la sécurité, et afin de faire des économies, des tourneurs locaux sont sollicités à chaque set afin d’éviter de passer par un tourneur professionnel et de payer le pourcentage qui va avec. Cependant, ce mode de fonctionnement réduit grandement la promotion possible, et la tournée perd de l’argent. C’est pourtant durant ces dates qu’un certain Lars Ulrich assiste à son premier concert de Diamond Head à Londres. Il va les suivre sur plusieurs dates et devenir un fan absolu, au point de faire de son futur groupe, et selon ses propres termes, la fusion de Motörhead et Diamond Head. Il fera aussi tout son possible pour les soutenir par la suite.

Ayers les recontacte, nouvellement investi. Diamond Head signe en 1981 avec MCA, et il semble qu’enfin le groupe touche du doigt un statut professionnel équivalent aux meilleures formations : Saxon, Iron Maiden, Def Leppard, Samson… Le label MCA a cependant et déjà un groupe de la NWOBHM en stock : Tygers of Pan-Tang. Qu’importe, l’opportunité est là. Diamond Head a du retard par rapport aux autres formations pionnières de la NWOBHM. Là où Iron Maiden ou Saxon ont déjà deux à trois albums publiés sur une major, Diamond Head ne peut se vanter que d’avoir un disque auto-produit et une fan-base solide. Mais le quartette de Stourbridge fait encore les petites salles là où ses concurrents font le Rainbow ou l’Hammersmith Odeon à Londres.

Diamond Head se met aussitôt au travail, et entame l’enregistrement d’un EP d’abord destiné à une publication sur Happy Face, avant d’être officiellement sorti chez MCA quelques mois plus tard. Il s’appelle « Four Cuts », et propose quatre chansons. Si Dead Reckoning est l’arrangement d’une composition ancienne datant de 1978, et Shoot Out The Lights une nouvelle version d’un titre paru en 1980, Call Me et Trick Or Treat sont de nouvelles pièces à ajouter au répertoire de Diamond Head. Le son est massif, solide, et s’éloigne nettement du côté artisanal des premiers enregistrements. La signature avec MCA permet à Diamond Head d’enfin réaliser un rêve pour Brian Tatler et ses camarades : enregistrer une session live pour l’émission Radio One Session de la BBC. A cette occasion, ils proposent deux nouveaux morceaux sur les quatre captés : Borrowed Time et Don’t You Ever Live Me. Sur ces nouveaux titres, on sent que Diamond Head compacte ses morceaux, et injecte son côté progressif de manière plus subtile. La teinte Led Zeppelin est aussi parfois plus nette, comme sur Don’t You Ever Live Me.

La lumière au bout du tunnel

Le 12 mars 1982 sort l’album « Borrowed Time ». Enveloppé dans une superbe pochette signée Rodney Matthews, illustrateur qui a notamment travaillé pour les groupes de heavy-metal Nazareth, Magnum et Praying Mantis, il propose sept titres dont plusieurs ne sont pas vraiment des nouveautés pour les fans. En effet, on retrouve notamment Lightning To The Nations et Am I Evil ?. Mais dans la tête de Diamond Head, il s’agit réellement de leur premier album officiel, le précédent étant davantage une démo améliorée qui n’a pas bénéficié de la promotion d’un vrai label. « Borrowed Time » est un instantané d’un groupe à la carrière déjà fournie, tout comme son répertoire. L’album se veut la continuité du EP « Four Cuts ». On y retrouve par ailleurs le titre Call Me. Si « Borrowed Time » n’explose pas autant au visage que le « White Album » par sa modernité et son audace, il est un excellent album professionnel, bien plus maîtrisé, et doté d’excellentes compositions heavy-metal à la patine Led Zeppelin et UFO indéniable. Le track-listing est conçu comme une lente montée en puissance, avec quelques éclairs rock plus accrocheur. In The Heat Of The Night est un morceau ténébreux et mélancolique, entre Black Sabbath et Led Zeppelin sur lequel Sean Harris fait des merveilles au chant. Sa voix est moins enfantine, plus solide. To Heaven From Hell commence avec un tempo en forme d’hymne de stade à la Queen, avant que le riff vienne résonner dans le mix. C’est en fait une marche mythique. La guitare imprime le pas, Sean Harris chante comme une sorte de bluesman, pendant que Colin Kimberley et Duncan Scott marquent un tempo martial. Puis sur le refrain, ils laissent passer un filet de groove qui donne une nouvelle dynamique au titre. L’ascension continue jusqu’à l’explosion speed de la fin, qui brille par un beau chorus épique de Tatler. C’est une nouvelle lecture de la structure de Am I Evil ?. Call Me apporte un lick plus pop. Il aurait dû être un tube, incontestablement, grâce à son refrain contagieux. Le groupe ne se renie par pour autant, car il conserve un vrai mordant. Cependant, cet alliage de heavy music à l’anglaise et de mélodie va faire des petits, à commencer par Europe, le synthétiseur en plus. Diamond Head conservera pourtant avec UFO et Thin Lizzy la formule magique du juste dosage entre les deux, ne rendant jamais putassières leurs musiques.

Lightning To The Nations est doté d’un nouveau souffle, et surtout des excellentes conditions d’enregistrement enfin allouées au groupe. Sans révolutionner le titre, cette nouvelle version est excellente, et permet au néophyte de découvrir une facette magique de Diamond Head. Borrowed Time est l’une des merveilles de ce disque, avec sa mélodie entre lumière et obscurité, et ses développements subtils sur la longueur. C’est un effort collectif majeur, leur Since I’ve Been Loving You à eux. Don’t You Ever Live Me va davantage sur le territoire du blues. En plus de Led Zeppelin, on y distingue les tempos lourds, l’économie de guitare et les accents vocaux de Free. Là encore, Sean Harris se dépasse, et commence à toucher du doigt le niveau d’un Paul Rodgers ou d’un Robert Plant. Avec ce nouveau titre, Diamond Head réussit encore le tour de force, avec Borrowed Time, de modifier en douceur le thème sur la longueur, et à plusieurs reprises, sans que l’auditeur ne s’en rende vraiment compte. Quant Am I Evil ?, cette nouvelle version surpasse de peu l’ancienne grâce à sa rigueur et sa lourdeur sabbathienne enfin mise en avant.

Une major, un excellent album, Diamond Head semble enfin parti vers les sommets. « Borrowed Time » atteint la 24ème place des ventes en Grande-Bretagne. Si ce n’est pas un score comparable à Iron Maiden ou Saxon à leurs débuts, cela vient couronner plusieurs années de travail et de débrouillardise. En août 1982, Diamond Head est invité à remplacer Manowar sur l’affiche du Festival de Reading. Ce dernier est alors le temple du heavy-metal anglais depuis deux éditions, mettant à l’honneur tous les nouveaux groupes, d’Iron Maiden à Angel Witch. Pour l’affiche 1982, on retrouve pour la troisième fois et en tête d’affiche le vendredi le trio gallois Budgie, une des plus extraordinaires formations de heavy lourd britanniques des années 1970-1980. Iron Maiden, Michael Schenker Group, Trust, Gary Moore, Y&T, Blackfoot, Tank, Praying Mantis et Marillion sont également à l’affiche. Diamond Head passe le vendredi 27 août juste avant la tête d’affiche Budgie. Le set est enregistré par la BBC, qui retransmet la quasi-intégralité du festival. Il sera publié à plusieurs reprises. La prestation est épique, et montre un groupe au sommet de sa forme. Les versions de Am I Evil ?, In The Heat of The Night, Borrowed Time ou Play It Loud sont atomiques. Diamond Head a totalement la dimension d’un groupe à destinée internationale, capable de faire des tubes aussi facilement qu’Iron Maiden et Def Leppard. La nouvelle BBC Session de 1982 ne fait que confirmer l’enthousiasme autour d’eux. Le groupe atteint un niveau musical exceptionnel, et les cinq titres proposés sont envoyés dans la stratosphère, le public avec.

Alors que la tournée en tête d’affiche en 1981 tourna plus ou moins au fiasco, celle de 1982 permet à Diamond Head de tourner dans les plus belles salles du pays comme le Manchester Apollo, le Birmingham Odeon, ou l’Hammersmith Odeon de Londres, le Graal ultime du groupe heavy-metal de l’époque, faisant suite à Motörhead, Judas Priest, Black Sabbath, Iron Maiden, Saxon et Def Leppard.

Le sable dans l’engrenage

Après une tournée anglaise de deux semaines en novembre 1982, MCA sollicite Diamond Head pour un nouvel album afin de maintenir, voir de capitaliser sur le joli succès en cours. Pendant plusieurs mois, le très actif Diamond Head disparaît des affiches de concerts pendant des mois. Officiellement, il travaille sur un nouvel album. Mais en interne, le quatuor se déchire sur la nouvelle ligne à tenir. Kimberley et Scott veulent rester sur la ligne de l’album précédent, Tatler poussé par Harris veut se montrer plus ambitieux musicalement parlant. Diamond Head participe à deux festivals européens : le Park Pop Festival en Hollande et le Kuusrock en Finlande, deux des rares incursions européennes de Diamond Head à l’époque. Ce sont les deux dernières apparitions du quatuor historique. Scott s’en va, suivi par Kimberley, plus ou moins viré de manière peu élégante.

Le disque est fini grâce aux musiciens Mervyn Goldsworthy à la basse et Robbie France à la batterie. Ils sont intégrés aux groupe de manière définitive pour le set de leur vie : Les Monsters Of Rock. Ce festival dédié au heavy-metal a pris naissance en 1980 sur le circuit automobile de Donington avec Rainbow, Judas Priest et Saxon. En 1983, c’est déjà une institution, et l’affiche est prestigieuse : Whitesnake, Dio, ZZ Top, Meat Loaf, Twisted Sister. Pour cette occasion, Diamond Head se présente en quintette avec un claviériste. Ce dernier sera recruté en urgence parmi les copains, et c’est un Diamond Head branlant avec trois musiciens nouveaux sur cinq qui se présente. Le set n’est pas si mauvais, mais il est loin d’être aussi spectaculaire que celui de Reading en 1982.

Le nouvel album sort en septembre 1983 et s’appelle « Canterbury ». c’est un disque riche, doté d’une vraie volonté d’audace mélodique et électrique. Les réussites sont nombreuses : les très Bad Company Makin’Music et Out Of Phase, les audaces orientales de Ishmael qui annoncent les travaux de Page/Plant dans les années 1990. To The Devil His Due est une merveille épique dans la lignée de Borrowed Time. I Need Your Love est un titre plus immédiat et percutant, et dont l’influence semble clairement à chercher du côté du titre Don’t Stand So Close To Me de The Police. Knight Of The Swords est un morceau ambitieux, aux atours New Wave, mais dont les explosions épiques et mélodiques à la guitare et au chant en font un titre très réussi.

Lors de sa publication originale en vingt mille exemplaires, il est pressé avec la face une sur les deux faces. La mauvaise publicité permet néanmoins à « Canterbury » d’atteindre la 32ème place des ventes britanniques. Après bien des épisodes houleux et l’absence de concerts, ainsi que cette coquille de pressage, Diamond Head se stabilise. Cependant, en très peu de temps, le groupe a très nettement évolué musicalement parlant, sans doute trop vite, perdant ainsi beaucoup de fans.

Diamond Head assure la première partie européenne de Black Sabbath, alors en pleine promotion de l’album « Born Again » avec Ian Gillan au chant. Il part sur la route pour la première fois de son existence avec des dates en Espagne, en Allemagne, en Suisse, en Hollande, en Belgique et en France à l’Espace Balard le 30 septembre 1983. Josh Phillips-Gorse est désormais le claviériste à plein temps. La tournée britannique d’octobre se fera en compagnie de Budgie et de Tobruk. Le premier connaît une période difficile. Après avoir mis tous ses moyens possibles dans un album plus accrocheur, « Deliver Us From Evil », largement soutenu par la presse musicale, et une tête d’affiche au Festival de Reading, Budgie se voit refuser un nouvel album par son label, et commence à tourner en rond en Grande-Bretagne. Il va s’effriter brutalement en deux petites années. Les premiers signes de désaffection apparaissent dès ces dates communes d’octobre 1983 : les salles sont en partie vides. Diamond Head va hélas connaître la même destinée.

Mervyn Goldsworthy est viré à la fin de la tournée, officiellement car il aurait auditionné pour Whitesnake. On le retrouvera au sein d’un autre groupe pionnier de la NWOBHM : Samson, dont l’avenir est lui aussi fragile. David Williamson le remplace, et Diamond Head repart sur la route en tête d’affiche en janvier et février 1984. A cette occasion, un concert est filmé pour tenter de rebondir sur l’essor de la VHS, Iron Maiden ayant sorti en 1981 son concert au Rainbow de l’année précédente. Le résultat montre un groupe qui n’est que l’ombre de lui-même. Il tente de réarranger ses anciens morceaux avec sa nouvelle configuration avec claviers, et semble en panne sèche au niveau des nouvelles compositions. Seule Today fait son apparition, et dévoile un Diamond Head vidé de sa substance. Des démos sont assemblées quelques mois plus tard pour un album censé s’appeler « Flight East ». Mais MCA le rejette et en profite pour les larguer. Les démos sont effectivement médiocres, du niveau d’une pop sucrée et FM sans aucun intérêt. Après quelques mois à la recherche d’un label, sans résultat, Diamond Head est dans l’impasse.

Le coup de projecteur inattendu

Il n’y aura pas de séparation officielle. Sean Harris et Brian Tatler se lancent simplement dans leurs projets solos respectifs. Le premier collabore avec le guitariste Robin George au sein du projet Notorious. Quant au second, il fonde Radio Moscow. Pendant ce temps, le label Metal Masters publie une compilation nommée « Behold The Beginning » en 1986 avec des titres de la période 1979-1981 remixés avec de nouvelles parties de batterie très années 1980. Contre toute attente, le disque marche bien, tout comme « Am I Evil » de 1987 chez Heavy-Metal Records avec plusieurs démos inédites.

Mais le grand coup de projecteur vient de Metallica. La formation californienne a perdu son bassiste Cliff Burton dans l’accident de leur tour-bus en Suède fin 1986. Ils recrutent Jason Newsted en lieu et place, et tente de se reconstruire musicalement. Pour cela, ils décident d’enregistrer dans leur local de répétition des reprises de morceaux qui ont influencé leurs débuts. Le premier d’entre eux se nomme Helpless de Diamond Head. Il est publié sur le EP « The $5.98 E.P.: Garage Days Re-Revisited », et connaît un grand succès. Par ailleurs, Lars Ulrich est invité à écrire un petit texte pour la publication américaine de la compilation « Behold The Beginning » qui sort en 1989. Enfin, pour les dix ans de la NWOBHM, Ulrich, qui a connu cette période de près en tant que fan ayant assisté à de nombreux concerts, est à nouveau sollicité pour monter une double compilation de morceaux emblématiques de ce mouvement. Bien évidemment, Iron Maiden, Saxon, Def Leppard, Samson, Venom et bien d’autres sont là, mais Diamond Head a une place de choix avec deux titres contre un pour tous les autres.

Pendant ce temps, Harris et Tatler se retrouvent sous le patronyme Magnetic Aka et compose le titre Who’s That Man pour la bande originale du film « Highlander II ». Cette collaboration réveille l’envie de relancer l’esprit de Diamond Head, que les miraculeux coups de projecteurs successifs de Lars Ulrich ont largement contribué à alimenter. Ils ont aussi permis aux anciens membres du groupe de toucher d’importants royalties. Eddie Moohan est recruté à la basse et Karl Wilcox à la batterie. Le quatuor tourne discrètement dans des clubs sous le nom de Dead Reckoning. La rumeur enfle, et bientôt, le groupe est démasqué. Il reprend alors la route sous le nom officiel de Diamond Head durant l’année 1991. De nouvelles compositions font leur apparition, mais pour l’heure, aucun label n’est intéressé pour un nouvel enregistrement. Diamond Head signe finalement avec Pete Winkelman sur son label Major Records. L’homme n’est pas un inconnu pour le groupe. En 1980, alors à la tête du label Media Records, il tenta de leur proposer ses services afin de bénéficier d’un vrai management professionnel, et sortir de celui, complètement amateur, de la mère d’Harris et de Murfin. Mais la main tendue ne durera que le temps d’un unique simple, la réédition du simple Sweet & Innocent/Streets Of Gold en octobre 1980. Cette fois, Diamond Head souhaite avoir une structure plus solide et tirer les leçons des erreurs passées. Les deux tournées britanniques de 1991 se passent merveilleusement bien, et de nouveaux titres font leur apparition dans les set-lists, annonçant un nouvel album en cours de composition.

Le 5 novembre 1992, Metallica, de passage au NEC de Birmingham, invite les quatre musiciens originels de Diamond Head pour jouer avec eux quelques titres de leur répertoire. Ils les inviteront de nouveau, cette fois en première partie de leur concert au stade Milton Keynes Bowl vers Londres, avec également Megadeth en seconde partie d’affiche. A cette occasion, et alors que Diamond Head débute son set avec le morceau Am I Evil ?, il est sifflé au départ par le public, pensant qu’il s’agissait d’un morceau de Metallica ! Puis, la puissance de l’interprétation s’imposant, les spectateurs réalisent qu’ils sont face au groupe qui a composé cette chanson mythique. A cette occasion, Diamond Head présente plusieurs morceaux de son nouvel album, le très bon « Death And Progress » sur lequel participent Tony Iommi de Black Sabbath et Dave Mustaine de Megadeth. Néanmoins, Harris le trouve trop hard-rock à son goût, et à la sortie de l’album, Diamond Head est déjà au bord de la séparation. Le concert à Milton Keynes sera le dernier avant un long silence. Afin de capitaliser sur ce retour et tenter de rebondir avec un nouveau groupe, le label Sanctuary publie l’enregistrement du concert de Milton Keynes sous le nom de « Evil Live » en 1994, auquel sont ajoutées des reprises de morceaux que Diamond Head adore : Good Lovin’ Gone Bad de Bad Company, Rock The Nation et Good Rockin’ Tonight de Montrose, This Flight Tonight de Joni Mitchell via Nazareth… Sean Harris a le timbre un peu patiné par l’âge, ce qui lui donne une voix quasi-similaire à celle de Paul Rodgers. Brian Tatler reste un guitariste brillant, quant à la section rythmique Moohan-Wilcox, elle est la meilleure que Diamond Head n’ait jamais eu. Pourtant, Diamond Head n’est plus dès 1994. Une nouvelle tentative est lancée en 2000 après la publication du live de 1991 à Wolverhampton en audio et en vidéo sous le nom de « Live – In The Heat Of The Night ». Un album est en préparation, mais les divergences musicales entre Tatler et Harris deviennent trop grandes, et finalement, le guitariste décide de se séparer de son duettiste historique pour relancer pleinement Diamond Head.

Le retour et la fin

A partir de 2004, Brian Tatler reprend les commandes de son groupe. Moohan et Wilcox sont toujours de la partie, leurs contributions ayant été majeures durant les années 1990, et leur fidélité à Tatler exemplaire. Un second guitariste, Adrian Mills, embauché en 2002, survit aussi à l’explosion du duo Tatler-Harris. Nick Tart prend le micro, et l’album « All Will Be Revealed » déclare la renaissance musicale de Diamond Head officiellement en marche. Musicalement, le groupe n’arrivera cependant jamais à retrouver son niveau de créativité de ses années 1977-1982, malgré de bons titres de hard-rock. Rasmus Bom Andersen prendra la suite de Nick Tart en 2014, sans faire mieux. En 2020, le « White Album » est réenregistré avec la formation moderne. La production y est trop propre et stéréotypée, le chant d’Andersen peu expressif. Ca bourrine comme si il s’agissait d’en remontrer à Metallica. Mais le charme de Diamond Head était justement cette authenticité, cette fougue juvénile, et cette absence de préjugés sonores qui leur ont justement permis de proposer une musique originale et novatrice. Tout cela a été perdu vers 1982, et malgré tout le talent de guitariste de Brian Tatler, rien n’arrive à ranimer la flamme merveilleuse du « White Album » original. La redécouverte des bandes originales en 2021 va permettre de boucler la boucle. Et plus encore, la proposition impossible à refuser de Saxon va mettre un terme à un groupe vivotant, animant les festivals de classic-rock par des prestations efficaces mais sans magie.

Après l’abandon du guitariste Paul Quinn, dernier membre original de Saxon avec le chanteur Biff Byford, pour des raisons de lassitude après plus de quarante années sur la route, le groupe britannique, dernière tête de pont de la NWOBHM encore en vie avec Iron Maiden et Def Leppard, et garant d’un heavy-metal solide, il faut trouver un remplaçant. Un jeune musicien pourrait faire l’affaire, mais il s’agit de ne pas faire de Byford l’ancêtre du groupe, bien que le batteur Nigel Glocker soit là depuis 1981, le bassiste Nibbs Carter depuis 1988, et le guitariste Doug Scarratt depuis 1995. Il faut un musicien historique de la NWOBHM pour maintenir la légitimité heavy-metal anglais de Saxon. Brian Tatler est approché, et accepte sans hésiter. Il va largement contribué en écriture au nouvel album « Hell, Fire And Damnation » où sa patte heavy mélodique fait des miracles et requinque Saxon, tant en studio que sur scène. Leur prestation au Hellfest 2024 sera l’un des grands moments du festival, assommant de leur puissance et de leur maîtrise musicale les pointures de tête d’affiche.

Comme à son habitude, en interview, Brian Tatler se refuse à déclarer que Diamond Head est dissous, sans doute pour toujours. Lui qui vivait essentiellement des droits des reprises faites par Metallica sur le double album de reprises « Garage Inc. » de 1998 sur lequel on trouve pas moins de trois titres de Diamond Head, a désormais un poste de guitariste dans un groupe de heavy-metal majeur de sa génération.

Julien DELEGLISE