Universal vient de publier un nouveau coffret Super Deluxe consacré à Def Leppard et son troisième album « Pyromania », premier gros succès commercial américain du groupe de Sheffield. On l’avait oublié depuis tout ce temps, mais Def Leppard fut une redoutable machine de heavy-metal mélodique avant de basculer dans une musique plus pop et moins mordante. Voilà une bonne occasion pour revenir sur les premières années de Def Leppard, et analyser le contenu de cette belle boîte de quatre cds et un blue-ray accompagné d’un livret relié richement illustré.
En France, on a oublié depuis longtemps qui est Def Leppard au-delà du public Metal. Curieusement, le groupe n’a quasiment jamais vu un de ses albums trop éloigné des Top 10 britannique et américain, y compris le dernier en date, « Diamond Star Halos » en 2022. il ne classe pourtant aucun de ses derniers titres dans les meilleures ventes, mais un public nombreux, essentiellement anglo-saxon, continue à lui être fidèle. Def Leppard a opté une mue très grand public avec l’album « Hysteria » sorti en 1987, qui trancha avec ses trois prédécesseurs, plus anglais dans leur manière de faire du heavy-metal. L’album « Pyromania » constituera une sorte de quintessence de la fusion entre heavy-metal sans concession et rock grand public.
Sheffield
Si le chanteur Joe Elliott est le porte-parole du groupe, et celui qui va maintenir la barre durant plus de quarante ans, c’est bien le bassiste Rick Savage qui en est à l’origine. Il a fondé Atomic Mass en 1976. La formation joue du hard-rock dans dans les pubs et les workingsmen clubs, les foyers de travailleurs de Sheffield. La ville fait partie du large bassin ouvrier du Nord de l’Angleterre, et est notamment spécialisée dans la sidérurgie lourde. Comme Birmingham ou Newcastle, ce sont des villes dures, où l’on apprécie le hard-rock qui défoule. Le boogie de Status Quo y a trouvé un large public, et AC/DC va connaître ses premiers succès publiques européens sur les scènes de ces villes.
Le guitariste Pete Willis rejoint Atomic Mass en 1977, et Joe Elliott passe la même année une audition pour être initialement guitariste. Il se révèle meilleur chanteur, et la recherche de la seconde fine lame de la six-cordes se poursuit. Le groupe change de nom sur la proposition d’Elliott. Il propose Deaf Leopard. Ce dernier patronyme est inspiré d’un poster qu’il a dessiné et qu’il a affiché dans sa chambre. Le groupe n’existe pas, c’est une pure invention de sa part. Il réalise ainsi des affiches de fausses formations de rock dont il trouve que le nom sonne bien. Elliott est passionné de rock depuis le début des années 1970. D’abord amateur de glam-rock dont David Bowie et Mott The Hoople, il tombe amoureux des hard-rocks racés de UFO, Queen et Thin Lizzy. Nous sommes en 1977, et le batteur Tony Kenning propose de « punkifier » Deaf Leopard en l’épelant de manière phonétique, comme il se prononce avec l’accent ouvrier du coin. Cela aboutit à Def Leppard.
Le premier concert officiel de Def Leppard a lieu à la Westfield School de Sheffield le 18 juillet 1978. En janvier de la même année, le quatuor d’alors découvre un jeune guitariste capable de jouer de tête et à l’instinct le morceau Free Bird de Lynyrd Skynyrd, solos compris. Il s’appelle Steve Clark, et va former avec Pete Willis une formidable équipe.
Le groupe se met à écrire rapidement des titres originaux. Elliott refuse que Def Leppard reste à jouer des reprises dans les pubs plus longtemps. Il a de l’ambition pour le groupe, et sent que le potentiel de son union avec Savage, Clark et Willis est énorme. Tous ont un travail alimentaire qui permet de couvrir les frais de matériel : Savage est technicien à British Rail, Willis est livreur chez British Oxygen, Steve Clark est ouvrier métallo, Elliott a un petit boulot de bureau peu valorisant mais moins difficile physiquement que ses camarades. C’est lui qui s’occupe des flyers de concerts et des affiches, grâce à la photocopieuse de son employeur. Après les deux premiers concerts en juillet et août 1978, le père de Joe, voyant son fils peiner à tout payer pour son groupe avec ses courageux copains, tous passionnés, décide de financer un premier enregistrement dans un studio professionnel ainsi qu’un pressage à mille exemplaires du futur disque. C’est une vraie chance pour Def Leppard, et un beau cadeau à son fils.
Le quintette s’apprête à entrer en studio en novembre lorsque Kenning, voyant la formation devenir de plus en plus sérieuse, décide de les quitter. Frank Noon de The Next Band est rapidement recruté pour la session. Ils enregistrent aux studios Fairview de Hull en un week-end trois compositions originales signées de manière collective : Ride Into The Sun, Getcha Rocks Off et The Overture. L’illustrateur Dave Jeffery conçoit la pochette en remplaçant le petit chien iconique de Gramophone-RCA Victor, futur EMI, par un léopard. Le disque sera pressé en auto-production, mais Elliott décide de trouver un nom de label fantaisiste dont il a le secret. S’inspirant de EMI-Parlophone, il trouve Bludgeon-Riffola. Le disque sort en janvier 1979, et il est principalement vendu aux concerts de plus en plus nombreux de Def Leppard, qui est passé d’un concert par mois à quatre puis six, puis dix au cours de l’année 1979. « The Def Leppard EP » bénéficie en sus d’une feuille avec les paroles, imprimée au travail par Elliott, petit luxe rare dans les auto-productions de la New Wave Of British Heavy-Metal naissante.
Le jeune homme, toujours prêt à faire le nécessaire pour son groupe, va bondir un soir de session du DJ John Peel de la BBC à la Sheffield University pour lui donner un exemplaire du EP. Toujours curieux de la nouveauté dans le rock, Peel va l’écouter et trouver les chansons fraîches et énergiques. Il va les programmer dès son retour à Londres et contre toute attente, le disque atteint la 84ème place des charts de la BBC. C’est un premier petit succès qui va lancer la carrière de Def Leppard à une vitesse météorique.
Du EP artisanal au premier album professionnel
Grâce au joli coup de culot de Joe Elliott, Def Leppard se retrouve dès le 18 juin 1979 programmé en session live sur l’antenne de la BBC dans l’émission animée par Andy Peebles. Avant cela, Def Leppard se cherche un nouveau batteur. Un jeune collégien de quinze ans s’avère faire plus que l’affaire : il s’appelle Rick Allen. Il est assurément le plus jeune de l’équipe, qui n’est guère plus âgée : Elliott a vingt ans, les autres dix-neuf.
Grâce à cette session, le EP est épuisé en juillet, il est réédité par les managers du groupe, Pete Martin et Frank Stuart-Brown, mais sans sa pochette. Puis en septembre 1979, Def Leppard est signé par Phonogram/Vertigo, qui republie l’enregistrement une troisième fois. Le même mois, le quintette enregistre un nouveau simple avec Wasted et Hello America qui sort en novembre. Le disque atteint la 61ème place des ventes en Grande-Bretagne. Martin et Stuart-Brown deviennent vite des problèmes, le futé Joe Elliott se rendant compte que ces deux-là piochent gentiment dans la caisse sans avoir de plan d’avenir pour Def Leppard. Suite à une dispute qui finit en bagarre entre Martin et Elliott, ce dernier décide de faire à nouveau confiance à son culot légendaire. Def Leppard a obtenu la première partie de la tournée britannique d’AC/DC, alors en pleine promotion du disque capital « Highway To Hell » enregistré avec le producteur Robert « Mutt » Lange. Le chanteur approche Peter Mensch de Leber-Krebs Management, une des plus importantes sociétés de tourneur et de management au monde, et qui s’occupe des affaires d’AC/DC. Mensch apprécie ce qu’il voit chaque soir, et décide de devenir leur manager.
Les choses s’accélèrent encore un peu plus, et en décembre 1979, Def Leppard est en studio Startling à Ascot. Il s’agit de l’ancienne propriété de John Lennon où il fut filmé pour la vidéo de Imagine. Ringo Starr l’a racheté et en a fait un studio d’enregistrement. Pour les gamins de Def Leppard, tout cela semble fou. Contre toute attente, l’homme qui va se charger de la prise de son s’appelle Tom Allom. Il fut ingénieur du son des premiers albums de Black Sabbath et de Judas Priest, avant de devenir le producteur attitré de ces derniers dès le live « Unleashed In The East » de septembre 1979. Deux mois plus tard, il s’occupera de leur album « British Steel ».
NWOBHM
« On Through The Night » sort le 14 mars 1980. La pochette est un peu étrange. Elle n’est ni vraiment esthétique comme celles de UFO ou Thin Lizzy, ni agressive comme celles de Judas Priest et Motörhead. Pourquoi un camion américain avec une guitare sur la remorque volant dans le ciel illuminé par la pleine Lune ? Le disque devient l’un des premiers albums historiques de la New Wave Of British Heavy-Metal (NWOBHM), devançant d’un mois « Wheels Of Steel » de Saxon et « Iron Maiden » d’Iron Maiden, de trois « Head On » de Samson, et de quatre « Wild Cat » de Tygers Of Pan-Tang. Si Saxon et Samson sortiront un premier album chacun en 1979, leurs sons sont encore timides. Def Leppard est incontestablement le porteur pionnier de la nouveauté électrique.
L’album, malgré quelques imperfections mineures, est d’une solidité artistique rare. « On Through The Night » est un disque saisi dans sa forme la plus brutalement heavy-metal, avec quelques enluminures professionnelles qui rendent la musique plus sophistiquée sans lui retirer sa puissance, tout le talent de Tom Allom en somme. Le disque vibre assez brut à nos oreilles actuelles, car Def Leppard sonnera si loin de cela plus tard. « On Through The Night » est un parfait chef d’oeuvre dont les caractéristiques musicales et sonores sont le parfait reflet de cette période flottante entre punk/new wave et hard’n’heavy renouvelé. Il est encore constitué de cette rudesse rock ouvrière absolument délectable qui le rend irrésistible. C’est un album de prolétaires dont les chansons sont ambitieuses, et grâce à Tom Allom, elles conservent leur teigne de prises live.
Cette magnifique bande de gamins aligne une série de titres ravageurs, aussi heavy qu’ambitieux au niveau mélodique. Rock Brigade, It Could Be You, Satellite, When The Walls Came Tumbling Down ou It Don’t Matter sont autant de pépites. Publié le 14 mars 1980, « On Through The Night », il se classe 15ème des ventes en Grande-Bretagne, et contre toute attente, à la 51ème place des ventes US, sans la moindre tournée sur ce continent pour le moment.
Peter Mensch va justement rapidement les mettre sur la route aux USA, dès le 20 mai 1980. Def Leppard tourne en première partie de Pat Travers Band, Ted Nugent, Scorpions, AC/DC, puis Judas Priest pour un premier ratissage de trois mois de mai à août 1980. L’Europe n’est pas oubliée, avec notamment quinze concerts en France. Cette dernière a une réputation de pays hard-rock grâce aux groupes pionniers que sont Océan et Trust qui tournent avec AC/DC et Iron Maiden.
Le 24 août 1980, Def Leppard est en tête d’affiche de l’édition mythique du Festival de Reading qui va mettre en pleine lumière cette nouvelle scène heavy-metal avec des prestations de Angel Witch, Iron Maiden, Budgie, Praying Mantis, Tygers Of Pan-Tang, Whitesnake… Def Leppard y sera bousculé, recevant des canettes de bière et d’urine. L’affaire a débuté par un article de Geoff Barton, l’homme qui a mis en lumière la NWOBHM. Dans Sounds, il se demande si le groupe n’est pas en train de se vendre au marché américain. Il a en effet sorti ce titre nommé « Hello America » qui semble en faire des vendus cherchant à tout prix à plaire à un public américain dont les groupes majeurs sont Boston, Foreigner et Journey, bien éloignés des idiomes de la NWOBHM.
A Reading, Def Leppard arrive sur scène avec un look coloré, qui est à comparer à celui d’Iron Maiden ou Tygers Of Pan-Tang fait de blousons de cuir, de tee-shirts musicaux, de bottes de moto et de jeans, ce qui ne fait qu’accentuer le rejet des purs et durs. Il y a aussi et sans doute ce succès fulgurant qui engendre des jalousies chez les autres groupes dont la carrière ne progresse clairement pas au même rythme. Si Iron Maiden est lui aussi lancé pour une carrière internationale, son invasion du continent américain va attendre l’année suivante. Quant à Tygers Of Pan-Tang, Samson ou Saxon, ils restent ancrés en Grande-Bretagne et en Europe.
Un pas de plus vers le succès
Contre toute attente, les dates avec AC/DC, qui est en train de faire la promotion de son plus gros succès commercial nommé « Black In Black », vont attirer l’attention du producteur attitré des Australiens : Robert John « Mutt » Lange. Lorsque Mensch approche ce dernier, il accepte bien volontiers de travailler avec les cinq de Sheffield. Il sent un potentiel chez eux qui pourrait annoncer des tubes. Ils sont par ailleurs jeunes et inexpérimentés, ils seront donc plus faciles à travailler que AC/DC et les frères Young, rodés et sûrs de ce qu’ils veulent.
Les séances d’enregistrement se tiennent aux Battery Studios. Situés à Willesden, au Nord-Ouest de Londres, ils sont devenus le studio résidence des fines lames de la production hard’n’heavy : Lange, Chris Tsangarides, Tony Platt et Martin Birch. Si Tom Allom est un ingénieur du son à l’ancienne, qui aime bien la prise live en studio et le placement judicieux de micros pour capter l’ampleur du son d’ensemble, Mutt Lange est un technicien minutieux. Il enregistre instrument par instrument, superpose les couches, découpe différentes prises pour en faire une parfaite, ce qui nécessite de la constance dans l’interprétation. Def Leppard apprend énormément, même si le travail est d’une rigueur infinie pour ces cinq jeunes gens. Lange va jusqu’à s’impliquer dans les textes et leur prononciation, obligeant à Elliott à constamment reprendre son travail. Rick Allen souffre également, car le producteur mise beaucoup sur la puissance de la batterie. Agé de dix-sept ans, le jeune batteur perd régulièrement pied, soit en explosant de colère, jetant ses baguettes à travers la pièce, soit en s’effondrant, torturé par le doute sur ses capacités de batteur. Mais Lange sait rattraper les musiciens lorsqu’ils commencent à perdre le fil. Les semaines passés avec lui permettent de comprendre une mystérieuse phrase qu’il avait prononcé à Joe Elliott lors de leur première rencontre en vue d’un album ensemble : « ne soyez pas trop méticuleux avec les chansons. Nous allons probablement les mettre en morceaux. »
En ce qui concerne la composition, si les titres de « On Through The Night » étaient le fruit d’un travail collectif, sur ce nouvel album, le duo Clark-Willis domine l’écriture, souvent secondé par Rick Savage. Elliott n’a plus qu’à poser ses textes et ses lignes de chant. Mais évidemment sans compter sur l’apport majeur de Robert « Mutt » Lange, qui exige beaucoup de tout le monde. Clark et Willis apprécient au contraire cette élaboration précise et maniaque, qui leur permet de chercher les sonorités de guitares et de superposer les riffs, les arrangements et les solos. La consommation grandissante d’alcool des deux guitaristes n’est alors pas un problème mais un vrai puits de créativité et d’émulation conjointe.
Le résultat de quatre mois de studio, de mars à juin 1981, s’appelle « High’N’Dry ». Cette fois, la pochette surréaliste est signée de la mythique maison Hipgnosis, qui a travaillé avec Pink Floyd, Led Zeppelin, Nice… le disque aligne en ouverture trois brûlots à la tension merveilleusement contrôlée nommés Let It Go, Another Hit And Run, et High’N’Dry (Saturday Night). Les choeurs sont magnifiquement maîtrisés. Joe Elliott chante clairement mieux, de manière plus précise et hargneuse. Rick Allen pratique moins le roulement de caisses pour privilégier un tempo solide et plein de groove, juste agrémenté avec parcimonie de quelques éclats de toms et de cymbales. Clark et Willis tissent les riffs, et entremêlent leurs solos, même si le premier commence à dominer le côté soliste pendant que le second assure une assise rythmique en béton, un peu dans l’esprit d’AC/DC et des frères Young.
Les ventes de « High’N’Dry » publié le 6 juillet 1981 vont être le reflet de la machine à ressentiments britanniques : il ne se classe qu’à la 26ème place des charts. Il monte par contre à la 38ème place du Billboard US, et atteint le statut de double disque de platine, contre un seul et un peu tardif pour « On Through The Night ». la machine à cartonner est bien en route. Si la critique européenne persifle sur la présence de Robert « Mutt » Lange le faiseur d’or d’AC/DC et Boomtown Rats à la console, le succès est bien là. Il s’agit d’une étape cruciale pour Def Leppard, qui installe son heavy-metal dans le paysage sonore américain, et continue de graver les échelons. Rappelons qu’ils n’ont qu’entre dix-sept et vingt-deux ans.
« High’N’Dry » reste dans un registre heavy-metal dru et sans concession dans l’esprit du premier album, ce que continue de défendre Clark et Willis. Si il est moins technique et plus mélodique que « Killers » d’Iron Maiden sorti en février 1981, dont certains morceaux commencent à augurer du thrash-metal à venir, Def Leppard reste un groupe anglais et il le revendique fièrement. Après un mois de juin 1981 à sillonner l’Europe, et notamment l’Allemagne, le groupe donne la primeur des dates post-sortie du disque à la Grande-Bretagne, et pas n’importe laquelle. Def Leppard se concentre sur les villes ouvrières qui l’ont soutenu à ses débuts : Birmingham, Bradford, Newcastle, Sheffield, Liverpool, Manchester, Wolverhampton… Londres n’a droit qu’à une unique date dans le temple du heavy-metal : l’Hammersmith Odeon.
Puis du 2 août au 22 novembre 1981, Def Leppard assure la première partie de la tournée US d’Ozzy Osbourne et son Blizzard Of Ozz avec Randy Rhoads à la guitare, ainsi que des dates avec les heavy sudistes de Blackfoot. Le second album d’Osbourne, « Diary Of A Madman » est 14ème en Grande-Bretagne et 16ème aux USA, il va y atteindre le statut de triple platine, faisant suite au quintuple platine de « Blizzard Of Ozz » de septembre 1980. Cependant, les deux groupes ne sont pas si loin commercialement parlant, et il s’agit presque d’une double tête d’affiche, Def Leppard profitant de la renommée US d’Ozzy Osbourne et vice-versa. Il faudra encore ajouter un mois de tournée pour des dates essentiellement allemandes et françaises avant que les Def Leppard trouvent enfin un peu de repos.
Des étoiles et des larmes dans les yeux
Def Leppard pouvait largement se suffire du succès du second album et de la tournée qui a suivi. Mais en ce début d’années 1980 vient de débarquer dans les téléviseurs la chaîne MTV. Elle se veut le canal promotionnel de toutes les musiques, et notamment le rock. Il y aura donc des émissions spécialisées, mais il faut aussi meubler les heures creuses avec de la musique et des vidéos. Rapidement, les clips seront un incontournable de la promotion des tubes en devenir. En 1982, MTV débute et cherche du matériau à diffuser. Def Leppard a filmé une prise en play-back sur scène de Bringin’ On The Heartbreak, la ballade de « High’N’Dry », par ailleurs une nouveauté pour Def Leppard inspirée par Thin Lizzy, UFO et Scorpions. La chose se met à tourner en boucle alors que le simple publié le 13 novembre 1981 aux USA et le 22 janvier 1982 en Grande-Bretagne fut un flop commercial. Grâce à cela, Def Leppard devient un groupe à la mode, et voit sa réputation médiatique grossir de manière exponentielle.
Toujours sous la houlette de Robert « Mutt » Lange, Def Leppard retourne aux Battery Studios en janvier 1982. L’exigence reste la même au niveau artistique. Cependant, les trois dernières années d’enregistrements et de tournées n’ont pas eu les mêmes conséquences selon les organismes. Le petit Pete Willis, déjà complexé par son physique, compense sa frustration avec l’alcool. Lorsqu’il rencontre Steve Clark, pour qui l’alcool ne semble pas avoir d’effet, les deux hommes se déclarent implicitement une sorte de bromance musicale et éthylique.
Lorsqu’arrive le moment de l’enregistrement du nouvel album, Willis a de très sérieux problèmes avec sa consommation d’alcool. Incontrôlée, elle entame très sérieusement sa capacité à jouer mais surtout à composer. Par ailleurs, il supporte très mal la place de co-compositeur affichée de Robert « Mutt » Lange. La totalité des titres est signé par le trio Clark-Elliott-Lange avec des participations sporadiques de Savage et Willis, respectivement sur six et quatre titres. Après avoir mis en boîte ses parties rythmiques, il est remercié officiellement le 11 juillet 1982. Son départ était déjà planifié, puisqu’il est remplacé dès le lendemain par Phil Collen. Ce dernier est membre du groupe Girl, une formation qui pratique un mélange de hard-métal à la NWOBHM et de glam-rock à l’anglaise. Dans ce cadre, Girl fait partie des formations peu appréciées de la nouvelle vague heavy anglaise, comme Def Leppard. Collen a sympathisé avec les Leps depuis 1980 environ. Il est le candidat tout désigné depuis un an et le début de la dégringolade personnelle de Pete Willis. Elliott et Clark l’ont clairement mis en attente, car ils savent que le licenciement de ce dernier est proche, aucune amélioration de son état n’étant en vue,. Il commence par ailleurs à avoir une influence alcoolique néfaste pour Clark, qui peine à lui dire non.
L’album « Pyromania » sort le 20 janvier 1983. il est le disque de transition entre le son heavy-metal tranchant et mélodique des deux premiers disques et une approche plus pop et commerciale. Parfaitement mené, venimeux dans ses accroches et ses refrains, il fait immédiatement mouche. Lange a utilisé des batteries électroniques pour caler les guitares, avant d’enregistrer Rick Allen à la fin. Un groupe de choristes est improvisé, surnommé affectueusement The Leppardettes : Lange lui-même, Terry Slesser qui a joué avec Paul Kossoff de Free, Pete Overend Watts qui fut le bassiste de Mott The Hoople, Chris Thompson le chanteur de Manfred Mann’s Earth Band.
« Pyromnania » monte à la 18ème place des ventes britanniques, mais surtout à la seconde place aux USA et la 4ème au Canada. Il va devenir sept fois platine dans ce dernier pays, et dix fois aux Etats-Unis. C’est un énorme succès commercial qui va avoir des conséquences assez inattendues sur la scène hard’n’heavy anglaise. Ayant réalisé un alliage quasi-parfait de hard-rock métallisé et de mélodies accrocheuses, certains groupes confirmés décident soit de laisser tomber, soit de changer de cap et de se mettre dans le sillage de Def Leppard. Elliott rapportera qu’en 1983, il rencontrera Phil Lynott de Thin Lizzy, également chez Vertigo. Il lui confiera que l’écoute de « Pyromania » l’a convaincu d’arrêter son groupe, se sentant incapable de faire aussi bien. UFO jette aussi l’éponge en 1983 après un disque plus accrocheur nommé « Making Contact ». Quant à Whitesnake, Il est recomposé de fond en comble par son chanteur et leader David Coverdale pour sortir le très hard-mélodique « Slide It In », qui tranche avec le passé hard-blues des albums précédents. Même la scène US suit la route tracée par Def Leppard, comme Van Halen qui fait son grand virage mélodique avec l’album « 1984 » et sa myriade de tubes.
L’album est incontestablement réussi, avec une myriade de chansons fortes : Rock Rock (Till You Drop), Stagefright, Too Late For Love, Foolin, Comin’ Under Fire… Il y a cependant Rock Of Ages, complètement plat et boursouflé de synthétiseurs. Il annonce hélas en grande partie la suite. Hormis ce petit ratage, les neuf autres titres sont irrésistibles dans leur subtil alliage de musique hard et de mélodie.
Pour la promotion, Def Leppard se lance dès le 9 février 1983 dans une grande tournée mondiale. Pour montrer que le groupe reste rock, il attaque ce soir-là par une date au mythique Marquee Club de Londres. Puis, le quintette laboure consciencieusement la Grande-Bretagne ouvrière et la France, assurant notamment deux dates au Bataclan de Paris les 8 et 9 mars. A partir du 18 mars, Def Leppard tourne aux USA et au Canada, cette fois en tête d’affiche, et ce jusqu’au 20 septembre, avec un concert tous les soirs et deux à trois jours off par mois. A partir du 7 octobre, l’Europe est à nouveau visitée, avec une fois encore l’Allemagne et la France en têtes de pont, mais aussi la Belgique, l’Espagne et l’Italie. Les 17 et 18 décembre 1983, la chaîne allemande ZDF organise à Dortmund un festival sur deux jours devant quatre vingt-trois mille spectateurs. Le tout est filmé, car l’affiche est en or massif : Iron Maiden, Scorpions, Krokus, Ozzy Osbourne, Quiet Riot, Michael Schenker Group et Def Leppard. La tournée « Pyromania » s’achève le 7 février 1984 en Thaïlande, après une première série de concerts au Japon et en Australie.
Le coffret Deluxe de « Pyromania » ajoute de nombreuses prises alternatives captées en studio, mais aussi deux sets : celui filmé à Dortmund en décembre 1983, ainsi qu’un concert complet capté au La Forum les 10 et 11 septembre. Le groupe dévoile une puissance musicale absolument intacte, poussant dans leurs derniers retranchements hard les nouveaux titres issus de « Pyromania ». Seul Rock Of Ages ne s’améliore guère. Il est pourtant joué, car c’est un tube numéro un aux USA en juin 1983.
La catastrophe puis la rédemption
Après un tel succès, Vertigo renvoie rapidement Def Leppard en studio pour continuer de capitaliser sur le fantastique succès de « Pyromania » et ses deux tubes numéro un aux USA, Photograph et Rock Of Ages, auxquels s’ajoute les sympathiques n°9 de Foolin’ et Too Late For Love. Def Leppard s’installe en Irlande, à Dublin, pour défiscaliser ses importants revenus. Durant cette période, le groupe entame des sessions d’écriture avec Robert « Mutt » Lange, mais il finit par décliner la proposition de rempiler comme producteur. Si « Pyromania » est une des grandes réussites de sa carrière, elle l’a épuisé, et il ne se sent pas en capacité d’entreprendre un nouvel enregistrement aussi prenant. Def Leppard pense alors trouver le remplaçant idéal en la personne de Jim Steinman, qui fut le producteur et co-compositeur de « Bat Out Of Hell » de Meat Loaf. Mais Elliott, Collen et Clark perdent vite leurs nerfs avec ce type arrogant, incapable de conduire l’enregistrement et de co-construire les chansons, se contentant de dilapider l’argent et de mettre des synthétiseurs et des violons dans tous les coins.
A la fin de l’année 1984, Def Leppard est au point mort. Le nouvel album a bien été enregistré par Jim Steinman, mais Joe Elliott le trouve mauvais, et refuse d’envoyer les bandes à Vertigo. Le 31 décembre, Rick Allen roule sur l’A57 aux abords de Sheffield au retour d’un pub familier où il y a retrouvé quelques amis le midi. C’est l’après-midi, la route est un peu humide. Il est au volant de sa Chevrolet Corvette C4 flambant neuve. Alors qu’il dépasse à vive allure un couple de personnes âgées dans une petite auto plutôt lente, la puissante propulsion fait une embardée sur la route grasse. Elle s’écrase dans un muret de pierres sèches au bord d’un champ et s’écrase sur le toit. Encore conscient, sonné, Rick Allen ne s’est pas encore rendu compte que son bras gauche a été sectionné par la ceinture de sécurité. Le couple s’est arrêté, et a appelé les secours dans une maison proche. Il tente de calmer Allen, de stopper son hémorragie, et de mettre le bras dans un sac avec de la glace récupéré à la maison voisine. Les secours arrivent rapidement, le jeune batteur est pris en charge, et opéré dans la soirée. Les médecins arrivent à recoudre le bras, mais une infection met fin à tout espoir de retour à une vie normale quelques jours plus tard. Rick Allen, batteur du groupe multi-platiné Def Leppard, est désormais amputé du bras gauche.
Les quatre autres Leps sont à son chevet, très inquiets de l’état de leur ami, vivant avec lui les joies et les peines des annonces médicales. Au début de l’année 1985, l’enregistrement du nouveau disque est mis en stand-by par Def Leppard. Le groupe ne veut tout simplement pas en entendre parler de la part de Vertigo, qui va respecter leur requête. Il n’est pour l’heure pas question de l’avenir du groupe, mais uniquement de la bonne santé de Rick Allen. Après des mois d’abattement liés à son amputation, le jeune batteur de vingt et un ans commence à envisager de rejouer de la batterie. L’électronique a fait son apparition la fin des années 1970 dans les percussions, avec notamment des toms sur lesquels on peut programmer plus ou moins le son que l’on désire. Allen contacte la société Simmons, qui est pionnière dans les kits de batterie électroniques. N’utilisant qu’une seule grosse caisse, il souhaite utiliser son autre pied pour compenser l’absence de son bras gauche. Simmons et lui créent ensemble un kit totalement nouveau adapté à son handicap. Puis il rejoint Def Leppard, toujours à Dublin, aux Windmill Lane Studios. Robert « Mutt » Lange, qui a appris tous les déboires et les malheurs de Def Leppard, décide de sortir de son repos pour leur venir en aide. Allen est installé dans une pièce réservé avec son nouveau kit, voisine de celle où le reste du groupe et Lange travaillent sur les nouvelles chansons. Le batteur n’est donc pas exclu du processus de création. Il peut aussi sentir le soutien de ses camarades, qui n’ont pas songé une seconde à le remplacer, même si ils sont inquiets sur sa capacité à revenir à un haut niveau avec un tel handicap.
Durant toute l’année 1985 et le début de la suivante, Rick Allen travaille sans relâche. Il faut souvent l’aider à s’extirper de son kit, épuisé, en sueur, les jambes ne le portant plus après des heures de travail, et encore torturé par des douleurs fantômes. C’est souvent Joe Elliott et Phil Collen qui s’en chargent, admiratifs de la volonté incroyable de ce jeune homme qui refuse d’abandonner. Au printemps 1986, Rick Allen invite les autres musiciens et Lange dans sa pièce de répétition. Tout le monde s’assied sur des chaises ou sur des flight-cases. Il met en marche une bande avec le morceau When The Levee Breaks de Led Zeppelin, et se lance dans la partie de batterie du mythique John Bohnam. Tout le monde est très ému, presque aux larmes. Il l’a fait, il a réussi.
Peter Mensch propose alors à Def Leppard de réaliser une série de concerts en Irlande pour reprendre contact avec le public et tester les capacités de Rick Allen sans lui imposer une épuisante tournée américaine pour le moment. Le batteur de Status Quo Jeff Rich est appelé en renfort. Il a la tâche ingrate d’être appelé potentiellement à la rescousse si Rick Allen n’arrive pas à assurer du tout, ou fatigue en cours de set. Le kit de ce dernier est donc installé à côté de celui de son potentiel remplaçant. Bien qu’il comprenne l’initiative préventive de Mensch, il le prend comme un défi personnel. Sur les trois premiers concerts, il ne joue que trois titres avant que Rich ne vienne le seconder sur le reste du set. Puis le soir suivant, il réussit à assurer cinq chansons, et le lendemain à Waterford, il assure la totalité du set. Il remet à nouveau cela à Dublin la nuit suivante. Jeff Rich reste cependant en coulisses pour le grand évènement qui doit marquer le grand retour de Def Leppard sur scène : les Monsters Of Rock à Donington le 16 août 1986.
le jour même, le stress est palpable. Les familles des musiciens sont là en coulisses, ainsi que Brian May de Queen et Lars Ulrich de Metallica, très émus par ce concert majeur qui va être le grand test pour Rick Allen, et qui marque le grand retour de Def Leppard après deux ans et demi d’absence et de rumeurs. Le concert, qui a lieu dans l’après-midi, est un immense succès, et permet au quintette d’enfin emporter l’affection du public britannique, très ému du courage déployé par le batteur, et impressionné par sa performance. En guise de clin d’oeil humoristique, Rick Allen et Joe Elliott portent un tee-shirt parodiant une une du tabloïd The Sun qui a passé son temps à faire ses choux gras sur les capacités de Allen à revenir. Grâce au succès de ce set, Def Leppard est désormais pleinement en capacité de retourner en studio pour son plus gros succès commercial, « Hysteria », qui sortira le 3 août 1987.
Julien DELEGLISE