Daniel Jea est une figure de la 6 cordes en France, ayant accompagné en autre des artistes tel que Françoise Hardy, Damien Saez ou bien encore La grande Sophie. Il finit sa trilogie d’album, avec le très surprenant « Se taire et écouter », qui expérimente un grand nombre de choses dans un format rock pop, pourtant peu enclin à l’expérimentation. Il nous en parle, on va donc se taire et écouter.
- Quelle était ton intention tes idées de base en faisant cette trilogie ?
D’abord, j’ai toujours aimé ce principe-là chez d’autres artistes, à commencer par la mythique trilogie
Berlinoise de Bowie. Et puis c’est parti du fait que j’adore le groupe qu’on forme avec France Cartigny
et Emilie Rambaud et avec lequel je joue depuis quelques années. J’ai senti qu’avec l’ingénieur du
son Stéphane Prin, et dans ce studio Midilive où j’ai pris l’habitude d’aller enregistrer, il se passait
quelque chose de puissant tous ensembles. J’ai vite trouvé qu’il serait intéressant de faire perdurer
cette énergie sur une période plus longue, par étapes annuelles, plutôt que de m’embarquer dans un
album plus long, dans une formule plus classique. J’ai eu envie comme ça de partir dans ce concept
de triptyque, avec comme idée de base de faire des albums courts, de 30 mn environ, composé de 8
ou 9 titres max. - Tu as sorti 3 albums d’affilée dans la période que nous connaissons tous, avais tu à l’époque des
idées sur ce troisième album ? Cela se conclut-t-il comme tu l’aurais imaginé ?
Oui effectivement la période de crise a contribué aussi à la réalisation de cette trilogie, tout
simplement parce que la scène s’est arrêtée brutalement en 2020 et n’a pas pas vraiment repris non
plus en 2021. Donc c’était assez propice à se concentrer sur de la compo et de l’enregistrement. Pour
ce troisième album, au départ je n’avais pas d’idée super précise, à vrai dire ! J’ai toujours avancé et
créée dans l’urgence et dans l’instant présent pour cet album comme pour les 2 précédents ! Un
album par an, à chaque fois comme une photographie de l’époque, des signes du temps que je
traverse. Et comme bien sûr chaque chose se prépare souvent bien en amont, parfois le studio était
booké alors que les chansons n’étaient quasi pas encore composées ou écrites ! - Ton album a été enregistré en 3 jours, comment ça se passe ?
Je finis quand même par être prêt avant le jour j du studio (!), alors une fois que j’ai déjà composé et
écrit, et en grande partie arrangé, les morceaux de mon côté, on les travaille en répétition en groupe
avec France et Emilie quelques jours avant d’entrer en studio, pour fignoler les arrangements
ensemble. Pour être ensuite à même d’être bien efficaces pour enregistrer tous les titres d’affilée en
3 jours. Dans une configuration live, on essaye au max d’enregistrer tous les 3 en live et puis je fais
ensuite les voix. - Aimes-tu cette urgence de création au final ? Car on la sent et je trouve que c’est une de ses
qualités.
Oui c’est vrai que j’aime beaucoup ça, mais en fait ça part surtout d’une contrainte économique au
départ : Il y a une petite production, donc vraiment assez peu de moyens pour faire un album dans
ces conditions, dans un grand studio où l’on peut faire des prises dans une grande salle, à
l’acoustique idéale pour ça. C’était donc une sorte de challenge pour moi, essayer de trouver le
maximum de liberté dans un cadre bien défini et assez restreint, essayer de sortir du bon avec la
contrainte. Pour le coup, on n’a pas le temps de se perdre ou de tergiverser. J’essaye d’aller à
l’essentiel au mieux, de capter au mieux notre énergie de groupe, de musicien.ne.s ensembles. - Même si vous n’êtes pas à proprement parler un groupe, on sent quand même une sacré
complicité entre vous. Peux-tu nous parler d’elles ?
Oui effectivement ce n’est pas à proprement parler un groupe, puisque c’est sous mon nom à la base
que je porte et crée mon projet, mes chansons. Mais l’énergie et la méthode de travailler s’en
rapprochent. De part mon expérience de musicien, le fait d’avoir travaillé avec beaucoup d’autres
artistes ou groupes, en studio ou en tournée, je sais qu’une complicité dans une équipe, qu’un esprit
de groupe se ressent fortement ensuite dans la musique. Ca insuffle une force, une énergie que
j’adore ! En fait je connais France Cartigny depuis très longtemps, on est ami.e.s de longue date, mais
on n’avait jamais vraiment eu l’occasion de jouer ensemble. Et puis en 2015 j’ai composé la musique
d’une pièce de théâtre où il devait y avoir au plateau, au milieu des comédien.ne.s, 2 musicien.ne.s :
moi à la guitare électrique et une batteuse. On a commencé ensemble comme ça. Et puis à un
moment donné France n’était pas disponible sur toutes les représentations, alors il a fallu trouver
une autre batteuse pour une alternance, comme la volonté de la metteuse en scène du spectacle
était d’avoir une femme à la batterie pour ce poste, ce personnage incarné. C’est comme ça que j’ai
sollicité Emilie que je connaissais un peu et que j’avais déjà vu jouer. Et c’est parti de cette
collaboration ! Et alors le fait de jouer avec l’une puis l’autre, je me suis dit : mais je veux jouer avec
les 2 en même temps sur mon projet, sur mes titres !
- Peux-tu me raconter l’histoire du titre Bitume, qui est assez atypique ?
Ce titre n’était pas prévu au départ sur l’album. Enfin même pas composé d’ailleurs ! Le studio était
booké, tout se préparait pour ça correctement, on était dans les starting block et puis une dizaine de
jours avant j’ai eu un grave accident de scooter dans Paris, je me suis fait renverser très violement
par une voiture. Tout s’est effondré d’un coup, j’ai passé plus d’une semaine à l’hôpital, mais au final
j’ai eu une chance inouïe, car malgré la gravité de cet accident et des blessures, j’en suis sorti
miraculé (c’est même comme ça qu’on m’appelait dans le service où j’étais !). Et ce séjour à l’hôpital
était entre les 2 tours de la dernière présidentielle où je ne pouvais que passer mon temps sous
morphine à regarder des écrans, les réseaux sociaux, et donc toute cette actualité vraiment pas du
tout rayonnante dans laquelle le monde est plongé de plus en plus. Ensuite pendant ma
convalescence, j’ai naturellement eu l’envie de faire un titre comme ça, bien nerveux, bien rock, dans
l’urgence toujours et encore, sur ce constat de l’état de la société actuelle qui est extrêmement
violente. En décrivant donc une réalité bien actuelle « claquée au sol / éclatée au sol », pour
reprendre cette expression d’argot. Et que je mets aussi au 1 er degré par rapport à mon vécu, une
réalité que l’on se prend de plein fouet, qui nous saute au visage comme le choc d’un accident nous
projette violemment sur le bitume et nous assomme. - Ce 3ème volet de ta trilogie d’albums a-t-il un thème récurrent, un concept particulier ?
Cet album aborde différents thèmes : les mouvements de prise de parole des femmes et le fait qu’il
est temps pour les hommes de se défaire du pouvoir, la violence de la société, des réseaux sociaux, la
folie de la guerre à portée de main, et, pour boucler la boucle de cette trilogie, la passion amoureuse,
cette ode à l’amour qui porte avec lui une nouvelle vie. Mais son titre « SE TAIRE ET ÉCOUTER », est
d’abord un message pour moi-même. J’entends ça souvent lorsqu’est dénoncé par les femmes le
patriarcat, ce système de domination masculine dans lequel nous vivons depuis si longtemps. Et je
trouve ça très pertinent pour aider à être vigilant face aux signes de la masculinité dominante.
Et puis aussi ça fait écho à ma musique, on peut voir ce titre « SE TAIRE ET ÉCOUTER » comme un
slogan tout simplement de manière très 1 er degré aussi : comme une invitation à se poser et à
prendre le temps d’écouter cet album, à notre époque où tout va et passe si vite !
Brian