Depuis 1997, Jean Dufaux régale ses lecteurs avec la saga antique Murena où, à défaut de réhabiliter le tyran Néron, il tente de comprendre et d’expliquer les agissements de celui qui restera avec Caligula, comme l’empereur romain associé aux pires décadences.


Hélas en 2014, avec la mort du fabuleux dessinateur Philippe Delaby, la série connaît un revers cruel du destin avec pour effet durable le ralentissement du rythme de parution malgré sa reprise réussie par Theo Caneschi. Il aura donc fallu attendre quatre ans pour que paraisse ce onzième tome, actant la fin du cycle des complots. Dès la première page, le lecteur est happé par ce qui aura valu à la série un succès dépassant son propre medium  (études à l’université, publication en latin, rééditions en format deluxe) : personnages à forte caractérisation, le plaisir comme dans  la série HBO Rome de voir interagir des personnages fictifs (le héros Lucius Murena), historiques et littéraires (Britanicus, Agrippine, Saint Pierre et ici Sénèque, le précepteur de Néron,  dont l’assassinat est l’évènement principal de cet album).

Néron continue d’être dépeint comme un être tourmenté capable de grandeur d’âme, de générosité n’ayant d’égal qu’une paranoïa galopante ayant pour cause d’une part l’exercice d’un pouvoir constamment menacé par les rumeurs les plus folles et souvent infondées et, d’autre part la solitude aliénante d’un homme qui sans contrepouvoirs doit apprendre à ne faire jamais confiance, n’accorder aucun crédit aux sentiments humains. Ajoutons à cela une histoire tourmentée (maltraitance infantile, manipulation mentale, mort d’un enfant, culte romain de la mégalomanie) pour que le lecteur abrité par le quatrième mur puisse avoir une certaine empathie pour l’empereur tenu pour responsable de l’incendie de Rome et ici de la conspiration de Pison.

Cette longue plongée vers le côté obscur de Néron, un personnage pas foncièrement mauvais, s’illustre ici dans une scène monstrueuse : rongé par le remords d’avoir assassiné son père adoptif, il copule à côté de son cadavre avec une femme dont l’identité était déjà chuchotée dans le volume précédent !

Magnifiquement croquée par Théo qui restitue dans ses moindre détails la ruelle sordide jusqu’aux villas patriciennes, ce nouveau chapitre se décline de nouveau autour de trahisons inimaginables, d’alliances contre nature et de maximes philosophiques voire sociologiques : 2000 ans avant notre ère, fake news et complotisme étaient déjà monnaie courante et  passibles de morts et de parjures.

La lecture de Murena nous assène cette triste vérité à coup de glaive : empereur ou mendiant, l’Homme est nu, seul, à la recherche d’une âme sœur qui finira par en trahir les miettes de confiance accordée.


La seule contrariété au terme de ces 60 pages épiques, forcément épiques, est de devoir encore attendre quatre ans pour en connaître les nouveaux rebondissements.

Murena – Tome 12 – Mort d’un sage, par Jean Dufaux et Theo

Bruce Tringale